[Recension] User Experience in Libraries: Yearbook 2018 Inclusivity, Diversity, Belonging

Chaque année UXLibs (Design d’expérience en bibliothèque) publie les actes de ses journées d’étude. En 2018, la thématique de ces journées, organisées à Sheffield (Grande-Bretagne), était « inclusivity, diversity, belonging », que l’on pourrait traduire par « inclusivité, diversité, appartenance/légitimité ». Cette thématique m’a donc donné envie de me plonger dans l’ouvrage pour en faire une recension sur ce blog.

L’ouvrage est composé de 40 contributions, mais seule une petite partie d’entre elles abordent directement les questions d’inclusion, d’appartenance et de légitimité. En effet, trois conférences introductives ont été programmées sur le sujet, et quelques autres contributeurs ou contributrices se saisissent de ces questions, parfois très brièvement. Seule la lecture de l’ensemble des contributions permet d’identifier des enjeux d’inclusion disséminés ici et là, car il n’y a pas de structuration thématisée du volume. C’est donc une première critique, et non des moindres, à apporter à l’ouvrage : il en reste l’impression d’un rendez-vous manqué entre des bibliothécaires « UX Designers » et les problématiques d’inclusion. Pourtant, comme le précise le propos introductif d’Andy Priestner, le lien est de l’ordre de l’évidence : penser des services publics pour des utilisateurs et les inclure dans la démarche de construction de ces services implique de réfléchir aux obstacles excluant certains individus ou groupes d’individus. C’est également se poser la question de leurs besoins spécifiques.

UXLibs-2018-Yearbook-front-cover-square

Je vais brièvement présenter les quatre contributions qui m’ont paru apporter le plus de matière à réflexion sur les questions d’inclusion et la façon dont le design d’expérience peut (ou non) contribuer à une meilleure inclusivité en bibliothèque. Je conclurai sur quelques réflexions évoquées dans certaines contributions, ou apparaissant en creux.

La toute première contribution est intitulée « Race, literacy and decolonising the library » et rédigée par Janine Bradbury, chercheuse en littérature à York St Jones University. L’autrice souligne la faible représentation des personnes noires ou de minorités ethniques dans le secteur de l’enseignement supérieur, particulièrement parmi les enseignants chercheurs, et le personnel des bibliothèques. Revenant sur son expérience de la bibliothèque, en tant qu’étudiante, puis chercheuse, noire elle rappelle alors également le rôle complexe des bibliothèques : à la fois lieu d’émancipation par l’accès aux savoirs, mais également institutions publiques réactivant les discriminations. Pour Bradbury, la sous-représentation de minorités dans les collections et parmi le personnel, le fait que l’institution sélectionne ce qui peut-être reconnu comme un capital social et culturel légitime et certaines pratiques (procédures complexes, amendes, organisation opaque, contrôle…) sont autant de signaux excluant pour certaines personnes. Elle conclut sur un appel à « décoloniser » les bibliothèques en invitant les professionnels à s’interroger : quel effet peut avoir la présence de personnel issu des minorités dans une bibliothèque ? Quels sont les auteur.rices mis en avant ? Témoignent-ils de la diversité de la société ? Il est à noter que dans cet ouvrage, les contributeur.rices abordant les questions d’inclusion sont anglo-saxons, et mobilisent un cadre d’analyse des rapports sociaux de race, envisagés ici comme terme sociologique, non biologique, c’est-à-dire comme un processus découlant des imaginaires, mais n’ayant pas moins d’impact concret sur le parcours des personnes objet de racisme, pour reprendre des éléments de définition de Colette Guillaumin (voir par exemple Guillaumin Colette, 1992, Sexe, race et pratique du pouvoir: l’idée de nature, Paris, Coté-Femmes Ed, 239 p.).

La deuxième contribution stimulante est proposée par Kit Heyam, chercheur et formateur à Leeds. Elle est intitulée « Creating trans-inclusive libraires : the UX perspective ». Après quelques rappels de notions primordiales pour parler des, et avec, des personnes transgenres, et le rappel des droits des personnes trans, l’auteur présente une série de cas exemplaires d’expérience utilisateurs.rices, mettant à jour un ensemble de difficultés que des personnes transgenres peuvent éprouver dans leur utilisation des bibliothèques. La mise à jour incomplète d’un fichier lecteur pour les personnes en transition, l’absence de mots-matière pertinents, voir la présence de mots-matière offensants lors de recherches, l’absence de toilettes non-genrées, ou encore les termes d’adresses (madame, monsieur), peuvent manifester l’absence d’une approche inclusive. Kit Heyam insiste sur le besoin de poser des signes d’inclusion, qui ne peuvent sembler que symboliques à des personnes cisgenre (le terme s’oppose à transgenre), et de formaliser des procédures pour répondre rapidement à certaines difficultés, mais l’auteur précise également que ces procédures sont peu de choses si le personnel des bibliothèques n’est pas sensibilisé à la mise en place de pratiques interactionnelles non-genrées. Les retours d’usagers trans et la collaboration en proximité sont donc précieux pour identifier l’ensemble de ces éléments.

Profile pic Kit
Kit Heyham

Deux contributrices proposent d’examiner leur pratique de design d’expérience avec une perspective critique. Dans l’article nommé « On the limits of UX research in academic libraries: notes from the Indigenous Studies Project », Danielle Cooper, bibliothécaire et chercheuse sur les pratiques informationnelles, met en avant l’ensemble des biais auxquels elle s’est confrontée pour la construction de services adaptés à des minorités, et les questions auxquelles elle cherche encore des réponses : comment s’assurer tout au long d’une démarche UX de son éthique ? La personne pilotant la démarche est-elle consciente de ses biais sociologiques lorsqu’elle collecte des données et les synthétise ? Comment se construit la relation entre les utilisateurs et les créateurs d’un service ? Qui « maîtrise » la tournure de la démarche et qui a « le mot de la fin » dans la construction des services ?

Ces questions traversent également la contribution de Heli Kautonen, directrice de la Bibliothèque de la Société de littérature finlandaise. Dans « Empowerment or exploitation? Perceptions on engaging people in accessibility design » elle synthétise ses observations sur le type de relation que les designers d’expérience entretiennent avec les utilisateurs. Elle en identifie quatre type: « La stimulation » (les utilisateurs sont considérés comme égaux aux designers et ils prennent les décisions finales, mais aussi la responsabilité de ces décisions), « l’exploitation » (les utilisateurs sont considérés comme compétents pour l’expression de leurs besoins, mais pas pour la création de nouveaux services), le « paternalisme » (l’intention des designers est de corriger le design d’un service et de protéger les utilisateurs), et « l’empouvoirement » (le design est coconstruit jusqu’au bout avec les personnes). Elle souligne la nécessité de définir le plus clairement possible avec les participants les véritables objectifs (économie de moyen, meilleur confort de vie/travail …), les règles, la temporalité de l’engagement et la méthodologie des activités réalisées dans une démarche de design d’expérience. Au sujet des méthodes, deux articles évoquent l’idée qu’il convient d’utiliser avec prudence certains outils. John Jung s’interroge par exemple sur la pertinence de l’utilisation du brainstorming dans un groupe dans lequel peuvent se jouer des rapports de pouvoir. Claire Browne quant à elle met en garde contre l’utilisation exclusive des feedbacks spontanés, qui ne permettent pas de recueillir la parole des personnes ne se sentant pas légitimes pour la prendre.

L’ouvrage présente un ensemble riche d’exemples très concrets de design d’expérience, mais il sera peut-être plus enrichissant pour quelqu’un souhaitant découvrir l’UX Design (et c’est d’ailleurs son objectif premier), qu’à une personne souhaitant réfléchir aux questions d’inclusion en bibliothèque. En effet, en dehors de quelques rappels sur les notions propres au design d’expérience, aucun cadre théorique sur les mécanismes d’exclusion et de domination n’est présenté, à l’exception de l’article de Kit Keyham. Il est frappant de voir que certaines thématiques, telles que les enjeux socio-économiques, la diversité linguistique ou le sexisme, ne sont pas abordées. Certaines contributions, comme celle de Maria Sindre sur le design d’un nouveau lieu sur un campus suédois, semblent par ailleurs confondre augmentation de la fréquentation et inclusion. Quelques retours de participants à ces journées d’étude concluent cependant de façon intéressante le volume et pointent des perspectives stimulantes pour le domaine. Par exemple, Rosie Hare, tout en soulignant la quasi-absence de diversité chez les intervenant.e.s comme chez les participant.e.s induisant un certain malaise pour aborder la thématique, plaide pour plus d’approches critiques dans les méthodes UX. Il semble cependant clair que les outils du design d’expérience peuvent véritablement aider à aller vers des services plus inclusifs, et des initiatives telles que ce type de conférence feront probablement évoluer les choses progressivement.

User Experience in Libraries: Yearbook 2018.
Edited by Andy Priestner, 288 pp. Publié le 14 décembre 2018 par UX in Libraries ISBN-13: 978–1790914746


Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *