Publics empêchés et (re)construction de soi

Le 25 janvier dernier, la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) rendait public les résultats d’une étude du Crédoc intitulée « Lecture publique et publics empêchés ».

Cette publication a également donné lieu à une journée d’étude en association avec l’Abf et la médiathèque Françoise Sagan à Paris.

Si au cours de cette journée l’accent a principalement été mis sur l’accès à l’information, il nous semble également intéressant de revenir ici sur certaines des interventions présentées en s’interrogeant sur les questions liées à construction ou à la reconstruction de soi qu’elles pouvaient présenter.

La lecture en milieu hospitalier

Claudie Guérin, responsable des bibliothèques de l’AP-HP, a ainsi pu présenté les enjeux de la lecture dans les établissements hospitaliers. Elle a tout d’abord rappeler l’importance numérique des hospitalisations en France : un habitant sur cinq séjourne chaque année à l’hôpital, soit 13 millions de patient-es qui sont hospitalisés chaque année. Et ceci dans des durées moyenne de séjour de 3 jours et demi à 8 jours dans les hôpitaux de court séjour, et de un mois dans les hôpitaux de soins de suite et les hôpitaux psychiatriques. Pour cette importante population, « la lecture recrée les conditions d’une vie normale, c’est une ouverture sur la vie ordinaire, c’est aussi un vecteur possible de reconstruction de l’identité, de l’intégrité qui est souvent malmenée à l’hôpital. » Pour étayer ce propos, elle se réfère également aux travaux de Michèle Petit, notamment « L’art de lire ou comment résister à l’adversité ». Claudie Guérin pu ensuite présenter les dispositifs de soutien aux bibliothèques en milieu hospitalier et souligner la nécessité de poursuivre leur développement puisqu’on estime qu’il n’y a encore que 40% des hôpitaux qui disposent d’une véritable bibliothèque. Pourtant, on constate une forte demande de la part des patient-es de disposer de documents adapté à leur contexte : des livres courts parce que l’on est souvent fatigué lorsqu’on est hospitalisé-e, des livres faciles à suivre parce que la lecture est souvent interrompue, des livre en gros caractères, des livres des vulgarisation médicale pour comprendre sa maladie, des livres portés à son chevet parce que l’on ne peut pas se déplacer. C’est pourquoi Claudie Guérin a conclu son intervention par un appel à la mobilisation de tous les acteurs et de toutes les actrices de la lecture publique pour qu’ils et elles s’intéressent plus à la lecture en milieu hospitalier et que se développe de nouveaux partenariat, notamment pour pouvoir proposer une offre multimédia, très demandée par les patient-es.

Les publics empêchés en lecture publique

L’intervention de Françoise Sarnowski sur les espaces « Facile à lire » et celle de Lucie Ambrosi sur les actions de la Médiathèque départementale de Pierresvives en direction des publics empêchés ont également été l’occasion de souligner l’importance de la lecture dans la reconstruction de soi. La démarche « Facile à lire » permet, en effet, à des personnes qui s’étaient éloignées de la lecture du fait des difficultés qu’elles rencontraient de reprendre confiance en elles-mêmes et de redécouvrir le plaisir de lire. Comme l’a rappeler Françoise Sarnowski, une certaine culture écrite, dite « classique », fait partie des éléments constitutifs de l’existence sociale de tout à chacun : « j’ai rencontré beaucoup de ces gens qui sont dans ces situations d’illettrisme, de situation de handicap, c’est important pour elles et eux de savoir qui est Jean Valjean, Gavroche, c’est une base de culture générale qu’on doit pouvoir partager tous ensemble, c’est une base de citoyenneté. » Rendre effectivement accessible à toutes et à tous ces œuvres écrites, dans des formes très adaptées si nécessaire, semble ainsi un enjeux fort de citoyenneté. Mais c’est aussi un enjeux d’estime de soi : des personnes en difficulté avec la lecture peuvent retrouver une confiance en elles et en leurs capacités intellectuelles lorsqu’elles se rendent compte qu’elles peuvent lire entièrement un livre, et qui plus est un livre légitimé par une institution comme la bibliothèque. Proposer des livres « facile à lire », c’est ainsi aider certaines personnes à trouver une place dans la société.

Dans les établissements pénitentiaires

Cette question du changement de l’image de soi à travers une pratique de lecture était aussi l’un des points qui a retenu notre attention dans l’intervention de Lucie Ambrosi. Elle est notamment revenu sur les actions que la Médiathèque départementale de Pierresvives mène dans les établissements pénitentiaires. Il ne s’agit pas simplement de mettre à disposition des livres pour les personnes emprisonnées, mais de proposer une véritable accompagnement vers la lecture. Ainsi, l’opération « Papa lecteur » cherche à aider des pères à pouvoir lire des histoires à leurs enfants lors des moments de parloirs. La lecture sert alors de support à l’affirmation de l’identité familiale de la personne emprisonnée.

Ces trois exemples, présentés trop rapidement ici, constituent des pistes de réflexion très intéressantes pour renouveler l’approche des « publics empêchés ». Ces actions nous semblent, en effet, déplacer le curseur de la question un peu abstraite de « l’accès à la culture » à celle beaucoup plus concrète de « la construction de soi ». Cet accent mis sur la finalité, pour le lecteur ou la lectrice, de l’acte même de lire devrait permettre aux professionnel-les de décentrer leurs regards des collections et des conditions d’accès pour pleinement se mettre à l’écoute des enjeux subjectifs de leurs usagers. Faire que personne ne soit pas réduit à n’être qu’un-e malade, quelqu’un-e avec des difficultés sociales ou un prisonnier, voilà un beau défi pour les bibliothécaires !


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Commentaires

Une réponse à “Publics empêchés et (re)construction de soi”

  1. […] Retour sur la journée de formation « Améliorer l’accès au livre et à la lecture pour les publics empêchés » par les membres de la commission Légothèque de l’ABF. […]

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