Un premier débat autour des ABCD de l’égalité
En mai 2014, la médiathèque Elsa Triolet de l’Ile Saint-Denis a organisé un débat sur « l’égalité filles-garçons, le genre, les différences, les préjugés, et bien d’autres choses que l’on veuille bien dire … », pour faire suite aux « journées du retrait de l’école ». Ce 1er débat « Et si on en parlait ? » s’inscrivait dans un projet de mise en place de débats de société participatifs réguliers à la médiathèque (qui était l’objet de mon stage dans les médiathèques de Plaine Commune).
Les objectifs des débats « Et si on en parlait ? »
Les objectifs des débats, définis par le directeur de la médiathèque, Mohamed Bouali, et le responsable des actions culturelles, Hacène Abchiche, s’inscrivent dans une logique participative et ouverte.
Il s’agit d’abord de donner une dimension citoyenne à l’identité de la nouvelle médiathèque (inaugurée en janvier 2014), de faire en sorte que la médiathèque soit investie par les publics autour des sujets touchant à la citoyenneté, d’identifier la médiathèque comme un lieu d’échanges citoyens ouverts à tous les publics et de favoriser la participation des publics à l’identité de la bibliothèque.
L’objectif est également de favoriser les échanges et la rencontre des publics, en travaillant la question de l’oralité à la médiathèque (en s’interrogeant notamment sur la place des personnes ne sachant ni lire ni écrire dans la médiathèque), en favorisant le développement de l’esprit critique, l’échange, le débat, en permettant aux personnes d’être entendues, en faisant émerger les centres d’intérêt et en croisant les publics.
Il s’agit enfin valoriser les ressources de la médiathèque différemment, qu’il s’agisse des ressources physiques et numériques, des livres, des films, des courts-métrage ou de la presse.
Des sujets de débat proposés par les publics ou les partenaires
Pour impliquer au maximum les publics et les acteurs et actrices du territoire dans le projet, les sujets ont été choisis de manière participative. Le 1er sujet a ainsi été choisi suite à une enquête menée auprès des publics de la médiathèque, et à une séance d’échanges avec les publics et les partenaires potentiels. Une association locale a alors proposé de débattre autour de la thématique du genre, pour revenir sur la polémique suscitée autour des ABCD de l’égalité par les « journées du retrait de l’école ». Cette thématique rejoignait les résultats de l’enquête, où la parentalité et le vivre ensemble apparaissaient comme des sujets plébiscités, et a donc été retenue pour le 1er débat.
L’implication des publics et des partenaires dans la construction de l’évènement
Au-delà du choix des sujets, la volonté était d’impliquer publics et partenaires dans la conception de l’évènement et dans la participation active au débat. L’association Les Femmes de l’Ile, qui a choisi le sujet, a ainsi également proposé de travailler avec une chercheure de l’Université Paris VIII de Saint-Denis, Marguerite Rollinde, qui a lancé le débat. Durant les deux mois précédant le 1er débat, une place importante a été faite aux discussions informelles avec les publics présents à la médiathèque et à la présentation du projet à des partenaires (services culturels, service jeunesse, éducateurs et éducatrices de rue, éducation nationale, clubs sportifs …). Des bibliothécaires se sont rendus à la sortie des écoles pour distribuer des flyers aux parents d’élèves afin d’amorcer le dialogue en amont du débat.
Ces échanges ont été facilités par la confiance accordée aux bibliothécaires par les personnes, grâce à la politique de proximité avec les usager-e-s défendue à la médiathèque de l’Ile Saint-Denis (un-e bibliothécaire est par exemple prévue au planning pour la lecture d’albums aux enfants durant les heures d’affluence) et aux activités proposées à des publics diversifiés (tournois de jeux-vidéos, ateliers CAF, ateliers de conversation en langue française …).
Un format de débat expérimental, inspiré de l’éducation populaire
Le format du premier débat a également été guidé par la volonté d’impliquer au maximum les personnes présentes. Il s’agissait en effet de s’éloigner du format « conférence » ou « débat télévisé contradictoire » pour proposer un format « horizontal » propice à la participation des personnes présentes, permettant de refléter une palette de point de vue divers, tout en garantissant un cadre de débat serein et protecteur pour toutes les personnes présentes. La volonté était toutefois de laisser également une place à une « expertise » sur le sujet, en garantissant la présence de personnes ayant une connaissance fine du sujet abordé et étant en capacité d’apporter des réponses aux personnes demandeuses.
Le choix a donc été fait de solliciter en amont une « intervenante pivot », universitaire, pour faire une courte introduction sur les notions abordées (10 minutes) et deux « intervenantes relais », praticiennes de terrain, présentes dans la salle pour répondre aux questions soulevées pendant le débat. Pour le 1er débat, Mélanie Mermoz, du Planning familial de Saint-Denis, intervenante sur l’éducation à la sexualité à l’école primaire, et Catherine Mathon, de l’association d’éducation populaire Ceméa, animatrice d’ateliers slam sur l’égalité filles-garçons ont été les deux intervenantes relais. La modération du débat a été effectuée par deux bibliothécaires.
Un accueil pour les enfants a été proposé en parallèle du débat, afin de privilégier la participation des parents.
S’approprier le sujet en amont du débat
Afin de favoriser la préparation active du débat, différentes sources d’information sur la thématique du débat ont été mises en avant à la médiathèque : revues de presse sur les ABCD de l’égalité, sur les journées du retrait de l’école, sur la polémique autour de l’album jeunesse « Tous à poils », mise à dispositions de séquences pédagogiques des ABCD de l’égalité, invitation à se faire une idée sur les albums jeunesse ayant fait l’objet d’appels à la censure dans les médiathèques (tous les ouvrages de la bibliographie du SNUipp FSU, rassemblés à partir des collections de l’ensemble des médiathèques de Plaine Commune, étaient présentés à la médiathèque de l’Ile Saint-Denis). Une projection du film Tomboy, suivie d’un débat, a également été proposée le mercredi précédant le débat.
A l’issue du débat, des documents abordant la thématique du débat, ainsi que des guides et brochures fournies par le Centre Hubertine Auclert et l’association SOS Homophobie, étaient disposés à proximité du buffet.
Bilan du 1er débat : parler de genre dans un climat apaisé, c’est possible !
Le premier débat « Et si on parlait ? » a réunit 67 adultes et 34 enfants. Des personnes d’âges, d’origines, de sensibilités religieuses différentes –il en a été question au cours du débat- ont participé à l’évènement. Le débat a duré deux heures, 15 personnes différentes ont pris la parole,des points de vue différents ont été exprimés, les partenaires relais et pivot ont pris plusieurs fois la parole pour répondre à des questions et apporter des éclairages, en laissant toutefois une grande place aux interventions des publics.
Les échanges ont été animés mais le débat s’est déroulé dans la bienveillance, et il n’a pas été utile de faire de recadrages, mis à part pour inviter les personnes à s’écouter quand des conversations parallèles démarraient entre deux ou trois personnes. Les échanges ont été très riches, les personnes présentes ont livrés de nombreuses anecdotes personnelles, se répondant les unes les autres.
La question de l’homosexualité, suscitant visiblement des peurs, présente en filigrane dès le début du débat, a fini par être évoquée directement par une personne du public, assistante sociale dans un collège : « L’homosexualité, c’est ça qui fait peur. C’est une souffrance de ne pas dire qu’on est homosexuel dans sa famille. De toute façon, si votre fils aime les garçons, vous pouvez ne pas être d’accord, mais ça ne le changera pas, alors qu’est-ce que vous préférez, qu’il se coupe de sa famille et qu’il en souffre, ou qu’il puisse vous en parler ? ».
Il a également beaucoup été question de rose et de bleu. Une dame d’origine africaine a ainsi fait par de son étonnement : « Quand je suis arrivée en France, j’ai eu une petite fille, et je l’habillais en bleu, parce que j’aime beaucoup le bleu, et tout le monde pensait que c’était un petit garçon, je ne comprenais pas, dans mon pays il y a plein de couleurs pour les bébés ! ».
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