13e Colloque « Lutte contre les violences faites aux femmes » – Strasbourg 14 novembre 2023

Santé des femmes – se reconstruire

L’Eurométropole de Strasbourg, avec sa Mission droits des femmes et égalité de genre, et le partenariat de plusieurs associations, a organisé le 14 novembre dernier son 13e colloque de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année, la thématique était « Santé des femmes – se reconstruire », avec la présence comme grande témoin de Pınar Selek, sociologue et militante franco-turque.

L’édition précédente avait eu pour thème la pornographie. Celle-ci avait été mouvementée, car elle s’était organisée sans la voix des premières concernées. Des travailleuses du sexe étaient donc intervenues en amont et pendant le colloque – et l’organisation avait fait savoir pendant la clôture que ces remarques seraient prises en compte pour les éditions suivantes. Cette année, la thématique était plus neutre, choix unanime des associations partenaires.

Violences conjugales et violences sexuelles – des problèmes de santé publique ?

Alice Debauche, maîtresse de conférence en sociologie à l’Université de Strasbourg et codirectrice de l’ouvrage Violences et rapports de genre – enquête sur les violences de genre en France, a commencé son intervention par un historique de la prise en compte des violences conjugales et sexuelles en tant que problématique de santé public.
Ce sont les mouvements féministes des années 70 qui ont mis ce problème sur le devant de sa scène, mais la réponse politique a été avant tout judiciaire. La question de la santé et de la reconstruction restait cantonnée à la sphère militante. Ce n’est qu’à partir de 79, avec les grandes conférences internationales, notamment organisées par l’OMS et en 1996 par l’ONU, que des engagements ont été pris par la France dans ce sens également. En 2002, un rapport mondial sur la violence et la santé a été publié par l’OMS, qui définit la violence surtout par ses conséquences sur les victimes, ce qui occulte la dimension politique des violences systémiques. L’ONU de son côté évoque cette dimension politique dans sa définition des violences faites aux femmes.
En France, une enquête a été publiée en 2000 sur les violences faites aux femmes, qui traitait des liens entre violence et santé. Cette étude a été l’une des premières à changer d’angle sur ces violences, et à en faire une représentation plus vaste que uniquement les violences physiques et morales : y sont évoqués le harcèlement, le contrôle, etc. En 2015, l’enquête Virage a été réalisée par l’Ined (institut national d’études démographiques), traitant des violences et rapports de genres – à la fois chez les hommes et chez les femmes.

Toutes ces enquêtes et rapports montrent un lien fort entre les violences subies par les femmes et leur état de santé, à la fois physique et mental. La question de la corrélation et de la causalité est toutefois toujours floue : subit-on plus de violences parce qu’on est en mauvaise santé, notamment à cause du validisme et du capacitisme, ou bien est-on en mauvaise santé à cause de ces violences ? Il semblerait que les deux hypothèses puissent être vraies. Il y a cependant des biais assez forts qui concernent ces études, notamment le biais du survivant (on n’interroge que les femmes qui ont survécu aux violences subies), mais aussi le biais de représentation (ce sont des femmes adultes qui parlent par exemple des violences qu’elles ont pu subir pendant leur enfance). La question de l’intersectionnalité est bien présente pour analyser les violences conjugales et sexuelles, puisqu’à l’instar du handicap, l’orientation sexuelle est un facteur de violence supplémentaire au sein du couple (notamment des femmes bi en couple avec des hommes hétéro).

Dans tous les cas, la place des soignant·es est extrêmement importante, et leur manque de formation est un frein pour la détection et la prévention des violences faites aux femmes. Il n’y a pas de politique de repérage systématique, ce qui serait pourtant un outil efficace.

Prendre soin de façon bien-traitante : mieux comprendre les liens entre les violences vécues ou en cours et la santé globale

Pascale Hoffmann, professeure en gynécologie-obstétrique, a créé le premier diplôme universitaire pour les soignant·es traitant de la « Prise en charge des violences faites aux femmes : vers la bientraitance ». Elle rappelle que 90% des violences touchent des femmes – y compris de la violence symbolique et la négligence. En 1998, une étude aux Etats-Unis sur les maladies cardio-vasculaires a révélé une forte corrélation entre état de santé et violences : il y avait de forts liens entre de multiples expériences négatives pendant l’enfance et les résultats de santé, physique ou mentale, ainsi qu’avec des risques de comportements addictifs.

Ces traumatismes, qu’ils aient lieu pendant l’enfance ou à l’âge adulte, se résolvent en général de deux façons : soit avec du stress aïgu, et un retour à la normale en maximum 6 semaines, soit avec un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Ces SSPT se manifestent par de nombreux symptômes, y compris de l’évitement, des désordres cognitifs, de l’hyper-vigilance, des insomnies, de l’irritabilité, et même une augmentation des risques de maladies auto-immunes.

La place des soignant·es est également une grosse problématique sur le sujet : les formations se développent difficilement, ces questions sont peu évoquées pendant la formation initiale. Il faut également penser à la réaction des soignant·es qui recevraient de nombreux témoignages difficiles, et faire de la prévention concernant leurs propres risques de traumatisme.
Il existe également un blocage psychologique à la bientraitance parmi les soignant·es, et les arguments en faveur de la bientraitance sont les suivants : faire prendre conscience et faire alliance avec les femmes victimes, « rassurer le corps » de ces dernières, qui réagit parfois même quand l’esprit n’a pas conscience d’être dans une situation de violence.
Pour tendre vers la bientraitance, il existe des solutions efficaces pour les soignant·es : se former, faire du dépistage systématique, lutter contre les violences systémiques dans la médecine, avoir une position physique et théorique particulière en direction des femmes, et favoriser l’empouvoirement de ces dernières.

Violences et santé : pour une approche pluri-disciplinaire, féministe et intersectionnelle

Cette table-ronde, animée par Anna Matteoli, directrice du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles du Bas-Rhin, a réuni trois associations : Parole sans Frontière, représentée par Myriam Cayemittes, Solidarité Femmes 67, représentée par Thomas Foehrlé et Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, représentée par Victoria Niare et Chantal Rialin.

Parole sans Frontière

L’association a été créée en 1991, et propose un suivi dans la langue des migrant·es et exilé·es qui sont en souffrance mentale. Actuellement en France, il n’y pas de prise en compte des problèmes psychologiques dans l’accueil des migrant·es.
Deux approches existent au sein de la structure : de la psychothérapie institutionnelle et de la psychiatrie transculturelle. Dans les deux cas, tou·tes les acteur·ices de l’association ont leur place, des secrétaires aux éducateur·ices, mais aussi interprètes et évidemment soignant·es. Dans 80% des cas, l’accueil se fait avec un·e interprète. Si l’association accueille inconditionnellement un public mixte, il existe une vigilance accrue pour la prise en charge des femmes, car elles sont plus vulnérables et exposées que les hommes.

Solidarité Femmes 67

Créée dans les années 70, SF67 lutte contre les violences faites aux femmes grâce à des hébergements, un accueil de jour, des formations et des espaces de réflexion. Thomas Foehrlé met en garde contre les discours qui réduiraient les violences faites aux femmes à une simple question de santé publique : c’est également une question d’émancipation, et une prise en compte du systémique.

La question du milieu rural est importante pour SF67 : il y a une impunité des agresseurs du fait des cercles sociaux réduits et des communautés soudées, et la situation rurale augmente les risques de violences : 47% des féminicides ont lieu en milieu rural. L’isolement, le manque de mobilité et d’accès aux services publics, les revenus, le statut et le soutien social, l’éducation, etc. sont des facteurs de risque supplémentaires.
Pour lutter contre ces violences, SF67 forme les professionnels de santé de premier recours sur le repérage des femmes en situation de violence. C’est une formation qui reprend l’historique de la notion, évoque les stratégies et les cycles de violence, la question de l’emprise, et casse les mythes sur les violences faites aux femmes. Outre ce volet historique, la formation est également très concrète : prévention primaire, secondaire (quand les premiers signes de violence sont apparents) et tertiaire (même s’il ne s’agit plus de prévention à ce stade). Il ne s’agit pas forcément d’obtenir des réponses directement, mais de laisser une porte ouvertes.

Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir

L’association a été créée en 2003, pour promouvoir la citoyenneté des femmes en situation de handicap. Les femmes handicapées étant plus isolées, ayant des difficultés de transport, et ayant des temporalités différentes, sont plus à risque de subir des violences. Ce sont les études sur le sujet qui ont permis d’élaborer des actions particulières envers les femmes en situation de handicap, pour amener ces dernières jusqu’aux soins. Aux problématiques pré-existantes, les violences ajoutent des troubles supplémentaires : SSPT, problèmes de dos, surdité, etc. Les violences étant souvent le fait des aidants eux-mêmes, il y a une double peine et d’autant plus de difficultés à être indépendante.

Une ligne d’écoute Violence a été mise en place en 2015, où sont redirigés les appels effectués au 3919 par des femmes handicapées. L’association propose également des permanences (juridiques, psychologiques, sociales, d’écrivains publics, etc.) et des ateliers de reconstruction : yoga, informatique, langues, art-thérapie, sophrologie, etc. Une prise en charge spécifique en fonction des handicaps est nécessaire : on n’accueille pas une femme sourde comme on accueille une femme aveugle.

L’offre de soin pour les femmes victimes de violences : enjeux et actions des professionnel·les

Cette table ronde, animée par Priscilla Bur, sage-femme et coordinatrice de l’Unité d’accueil et d’écoute des victimes de violences (UNAVI) aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, a réuni trois structures : SOS France Victimes 67, représentée par Cédric Balland, la Maison des Femmes de Saint-Denis, représentée par Ghada Hatem-Gantzer et les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, représentés par Nadine Knezovic.

Un rappel rapide a été fait : si seulement 13% des victimes de violence se tournent vers les forces de l’ordre, elles sont 24% à se tourner vers du personnel soignant.

SOS France Victimes 67

Cette association accompagne des victimes qui ont porté plainte dans leur parcours de justice : deux tiers des personnes qui s’adressent à elle sont des femmes. Pour faciliter l’accès aux soins et atténuer les freins possibles – notamment l’isolement, le manque de moyens, la phobie sociale, la dépression, le handicap, la garde des enfants, etc. – SOS France Victimes 67 a mis en place un dispositif nommé Psy-mobile. Il s’agit d’un service de psychologue à domicile pour les femmes victimes de violences sexuelles et sexistes. En plus de ce dispositif, l’association propose de l’hébergement, de la mise en lien avec des avocats, mais également des téléphones grave danger.

Pour améliorer la prise en charge des femmes victimes de violence, le principal frein est le manque de moyens financiers pour embaucher du personnel juridique, social et de soin.

Maison des Femmes de Saint-Denis

La Maison des Femmes propose un parcours de soin pour les femmes victimes de violences : elle accueille en moyenne 80 femmes par jour. Trois grands axes sont proposés par la structure : un parcours de soin et de reconstruction contre les violences conjugales et intrafamiliales, un parcours de santé sexuelle (planning familial) et un parcours concernant les victimes de mutilations sexuelles.

La Maison des Femmes prend également en charge des enfants, à la fois par du soin psy et de la garde, réalise des soins psychocorporels, organise des groupes de paroles, des formations, des ateliers, des permanences (administratives et judicaires), accompagne aux dépôt de plainte, etc. Il y a également un centre d’hébergement de 35 places pour les femmes entre 18 et 25 ans, pour leur permettre de reprendre pied avec le quotidien.

Pour améliorer la prise en charge des femmes victimes de violence, le principal frein est le manque de moyens financiers, mais également la lenteur de la justice, et l’absence de formations des policiers.

Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

Le service de gynécologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont inscrit dans leur projet médical la lutte contre les violences faites aux femmes. Le personnel soignant se forme avec Solidarité Femmes 67, et pratique le dépistage systématiques des violences. Les prises en charge sont également modifiées pour prendre en compte le consentement et d’autres approches bientraitantes. Bien que les violences obstétricales ne puissent être éradiquées, elles sont régulées aux maximum.
Le service a également mis en place des lits de répit, c’est-à-dire un hébergement de quelques jours pour des personnes en grave danger de violences – en grande majorité des femmes mais pas uniquement.

A l’instar des deux autres structures, le principal frein à l’amélioration de la prise en charge des femmes victimes de violence reste le manque de moyens, pour ouvrir des lits mais surtout pour embaucher du personnel soignant.


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