Des bibliothèques en tout genre : Associations et institutions au service de la diversité

« Des bibliothèques en tout genre : associations et institutions au service de la diversité« , c’est le titre d’une journée professionnelle coorganisée par l’agence régionale du livre Occitanie livre & lecture, le réseau des bibliothèques de Toulouse et le groupe ABF Midi-Pyrénées. Elle s’est tenue le 16 février dernier à la Médiathèque José Cabanis de Toulouse.

L’enjeu de cette journée était de faire dialoguer les professionnels et professionnelles et les militants et militantes sur leurs objectifs respectifs pour nouer un dialogue fructueux au service de toutes et tous.

Compte-rendu proposé par Sabine Sarny.

La journée s’est ouverte par les discours officiels qui reviennent sur la programmation queer « bon chic bon genre » de la bibliothèque de Toulouse. Ce mois de février est en effet un mois « queer », pensé autour de l’identité, du rapport à la norme.

Après un retour du directeur du réseau sur les liens à travailler avec les élus, le vice-président de l’agence régionale du livre, Jérôme Sion revient sur l’événement « grave » qui a marqué ce mois queer : suite aux pressions exercées par un « groupuscule d’extrême droite », le maire de Toulouse a décidé d’intervenir dans la programmation de la médiathèque en modifiant les modalités de la lecture drag qui devait avoir lieu le 18 février 2023. Il dénonce un cas de « censure » qui n’est pas isolé, plusieurs cas voient le jour partout en France.

Petit point de vocabulaire

Max Junqua, pôle société, médiathèque José Cabanis

Max revient sur les différentes définitions relatives à la question du genre. Il fait la distinction entre identité de genre, de sexe, et orientation sexuelle. Il revient par exemple sur les trois distinctions primordiales entre sexe, genre et expression de genre pour aborder la question du genre. Toutes les définitions qu’il propose sont à retrouver sur son support[1].

Il rappelle que c’est parce que la société a défini les marges qu’elle a défini la norme (le concept d’homosexualité a été théorisé avant l’hétérosexualité). Il revient aussi sur l’origine du mot « queer » qui était un terme péjoratif pour définir la marge, la différence. Or, il y a eu ce que Goffman appelle le « retournement du stigmate ». Le mot « queer » est devenu une fierté, une revendication pour les personnes considérées comme étant à la marge de la société.

Aussi, il est important de rappeler que seul le sujet peut se définir, l’autodétermination prime.

Genre et Transitudes : inscription des expériences de vie et savoirs trans dans la culture

Karine Espineira, sociologue

On remarque que des rhétoriques anti trans reviennent depuis deux ans. Il est alors question des enjeux de la représentation de la transidentité dans la mesure où les représentations apparaissent et se diffusent (et ont des effets sur la vie des personnes représentées).

Les questions de transidentité ne sont pas nouvelles : on en parle dès le monde antique, dès la société viking, dans l’Inde ancienne. Si on adopte une approche culturelle de la question trans, les cultures non-binaires existent à travers le monde : représentations Muxes (Mexique) ; Bugis, Ugis (Indonésie), Sipiniits (Novanut), Katoï (Thaïlande), 2spirits (amérindiens…). Les personnes trans « n’parraissent pas avec les progrès de la médecine » (cf Clovis Maillet, « les genres fluides », Diane Labelle (chercheuse two-spirits).

1952 : première opération d’une femme trans. On se rend compte dans la presse que l’opération de Christine Jorgensen est relayée dans les médias. La couverture médiatique laisse apparaître une certaine image de la transition or, elle expliquera plus tard que tout ne s’est pas bien passé. Cela nous montre que le parcours avant/après vécu par les personnes trans est différent de la vision que les médias veulent donner. Aussi, un documentaire, Christine légionnaire réalisé en 1957 par l’ORTF revient sur le parcours d’une femme trans. Selon Karine Espineira, il s’agit d’une parodie. Les similitudes avec la vie de Christine Jorgensen sont flagrantes. Cet épisode en dit beaucoup sur le traitement médiatique et les représentations de la transidentité.

À partir de 2006 aux Etats-Unis, 2014 en France, on observe une phase particulière dans le traitement médiatique de la transidentité, plus positive. La question trans est perçue comme une curiosité, quelque chose qui reste à la marge. Mais cette médiatisation c’est l’arbre qui cache la forêt (différences entre la représentation et les gens qu’on croise dans la
vie réelle).. En 2022 une affiche du planning familial montrant un homme enceint a provoqué un déchainement de violence contre les personnes trans (ce qui n’avait pas été le cas avec Thomas Beatty, 1er homme enceint en 2008).

Enfin, Karine Espineira revient sur la question des savoirs situés. Selon elle, le chercheur, l’auteur ne peut pas être invisible à lui-même. La toute-puissance de l’objectivité n’est pas possible et il est important de savoir si le savoir est construit ou non par des personnes concernées.

Traiter, conserver, partager et valoriser les « archives du genre »

Roméo Isarte, président de mémoires minoritaires, cofondateur de Big-Tata

Isabelle Sentis, bibliothécaire et cofondatrice de Queer Code

Fabienne Tiran, archiviste, Centre de Conservation et de Ressources (Mucem)

Roméo Isarte constate une surreprésentation du masculin dans les fonds d’archive. Le but est de proposer une réponse politique aux « silences » et aux effacements de l’Histoire. Michel Duchein, archiviste, a publié sous le nom de Marc Daniel de nombreux articles sur l’histoire et la mémoire LGBTQI+. Il faut une stratégie de collecte pour les archives du genre. En effet, il y a beaucoup d’associations et il est nécessaire d’organiser la collecte des archives. Le but est de travailler en coopération (plan de partage des collections, échange des doublons, …).

Fabienne Tiran évoque les « enquêtes collectes » organisée en 2005 au Mucem. Le principe était d’envoyer les chercheurs sur le terrain autour d’une thématique. En 2005, le thème était « mariages en méditerranée ». C’est cette « enquête collecte » qui est à l’origine de la collection autour du genre.

Isabelle Sentis présente Queer Code, « c’est une démarche pour écrire collectivement notre histoire. C’est un espace numérique collaboratif qui rend visible les parcours de vie des femmes ayant aimé des femmes, qu’elles furent cisgenres ou transgenres durant la Seconde Guerre Mondiale, leurs résistances, leurs émancipations, leurs amours et leurs plaisirs… »[2]. Elle revient sur la vie de Pierre Seel, homosexuel déporté, et explique à quel point il est important de recueillir son histoire pour produire des archives. De même, « Constellations brisées », « un projet participatif européen, numérique et féministe » permet de « faire connaître les parcours de vie de femmes déportées et persécutées qui ont aimé des femmes »[3].

Veille et boîte à outils

Thomas Chaimbault-Petitjean, commission Légothèque ABF

« Légothèque » est un mot valise, c’est une commission de l’ABF composée de 10 membres permanents mais aussi d’observateurs. La bibliothèque est un outil de culture et de pouvoir dans la société, elle a un rôle primordial dans la construction de l’individu. Il est important de questionner le principe de neutralité des bibliothèques. Critlib permet de penser l’action de la bibliothèque comme une action non neutre.

Légothèque met à disposition des outils pour tous. Elle propose une carte des centres de ressources sur le genre. Elle met aussi à disposition des bibliothèque une exposition sur le genre. Enfin, elle propose des fiches pratiques accessibles à tous les professionnels concernant l’accueil des publics trans en bibliothèque.

Panorama international des initiatives en bibliothèques

Thomas Chaimbault-Petitjean, responsable du groupe LGBTQ+ users de l’IFLA

Il existe une très grande différence concernant les droits pour les personnes LGBTQ+ en fonction des pays. La question se pose alors de la place de la bibliothèque dans la société. La bibliothèque doit répondre aux besoins d’informations spécifiques pour ces publics LGBTQ+. Le lien avec les droits culturels est primordial.

Tour d’horizon des initiatives en BU (à retrouver sur le document mis à disposition par Thomas sur le site d’Occitanie Livre et Lecture) :

  • « the library is open »
  • Queerographie
  • Rainbow library (identification des collections LGBTQIA+)
  • Queerlit data base (pour les questions d’indexation)
  • Queer Gaby : réponses fiables à des questions relatives au genre. Les réponses sont élaborées par des bibliothécaires. Le but est d’accompagner l’usager dans la découverte de soi.
  • Bibliotecarixs en Orgullo (Mexique) : participation à la marche des fiertés.
  • Biblioteca Parque de la Estacion (Argentine)
  • Irish Queer Archive : fonds particulier que la bibliothèque fait vivre par la valorisation des collections.
  • Queering the library : notion de co-construction importante dans la mesure où il s’agit de recueillir les archives orales du public LGBTQ de migrants.

Aller au-devant des publics

La bibliothèque municipale de Lyon, le Point G : quoi de neuf pour un service précurseur ?

Sylvie Tomolillo, responsable du Centre de ressources sur le genre, bibliothèque municipale de Lyon

En 2005 il y a eu la création d’un centre de ressource sur la mémoire gay et lesbienne à la bibliothèque de Lyon : le fonds Chomarat. La notion de visibilité est alors apparue sur ce fonds. A l’origine il était en silo mais il a été décidé de l’installer en salle pour que le fonds gagne de la visibilité. C’est aussi un moyen de lutter contre les discriminations que de le visibiliser. Il y a donc eu la création du fonds mémoire gay et lesbienne qui concerne essentiellement des sciences humaines et sociales. Une cotation spécifique a été adoptée dans la mesure où la Dewey est particulièrement peu adaptée aux fonds sur le genre.

Agir pour une politique inclusive à la Bibliothèque de Toulouse

Charlotte Hénard, responsable des services aux publics, Bibliothèque de Toulouse

Implantation d’une collection sur le genre dans la bibliothèque. En effet, entre 1948 et 2022 on remarque sur Electre que l’on est passé d’une publication ayant pour thématique le genre en 1948 à plus de 512 seulement pour l’année 2022. Il y a donc eu un travail sur des cotes validées afin de pouvoir proposer un fonds sur le genre. Ensuite, les collections sont signalées au public par le biais d’un petit arc en ciel sur le dos du livre.

Charlotte Hénard rappelle la déclaration de Fribourg de 2007 concernant les droits culturels. Ainsi, le genre en bibliothèque s’inscrit dans la loi.

L’espace QG à Bordeaux ou l’expérience de l’itinérance

Juliette Assada, présidente de l’association espace QG

Il s’agit d’une bibliothèque associative itinérante Queer et Genre autour des questions de genre et de sexualité. Le but est d’aller à la rencontre des publics, sur des événements spécifiques ou les publics sont acquis mais aussi d’aller à la rencontre de tous les publics et de proposer de la médiation et de la valorisation autour des collections sur le genre. Par exemple, interventions dans des collèges sur la vie sexuelle et affective.


[1] Tous les supports des intervenants seront disponibles sur le site d’Occitanie Livre et Lecture. Toutes les définitions données par les intervenants seront ainsi disponibles.

[2] https://www.queercode.net/a-propos

[3] https://constellationsbrisees.net/


Publié

dans

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *