Retour sur les deux journées d’étude  » La bibliothèque à l’épreuve des diversités »

Ces deux journées d’étude internationales sur la question des diversités en bibliothèque (17 et 18 janvier 2023) ont été co-organisées par le Cfibd, l’Enssib et la Bpi.

Les 2 journées ont été enregistrées et seront prochainement disponibles. Plusieurs comptes Twitter ont assuré un live tweet : @Queerotheque @cfibd

Quelques points marquants de l’après-midi du 17 janvier

Des outils en faveur de la diversité
Collections et diversités : retour sur Collection HQ
Fred Gitner, Assistant Director of New Initiatives & Partnership Liaison, New Americans Program, Queens Public Library

Fred Gitner a présenté la politique des bibliothèques du Queens (New York) en direction des populations immigrées. Il a mis en exergue le « coin des nouveaux Américains » : « New American Corner ». C’est un service spécifique pour les populations immigrées. Les langues les plus parlées ont été identifiées, parmi lesquelles on trouve : espagnol, chinois, bengali, russe, coréen. La structure s’appuie aussi sur la richesse socio-linguistique des bibliothécaires.

90% du budget d’acquisition est centralisé et 10% relèvent de chaque bibliothèque, pour des collections adaptées à la population locale de manière fine : urban fiction (la vie dans une ville), street lit sont des exemples de secteurs qui marchent bien. Les acquisitions prennent aussi en compte différents aspects comme l’expérience noire, LGBTQIA+, et s’appuient sur des événements culturels parfois récurrents comme le Mois de L’Histoire des Femmes, de l’Héritage des noirs, la culture autochtone, les centres d’intérêt des handicapés.

Un Conseil sur l’égalité raciale a été créé suite au meurtre de George Floyd : il travaille sur les barrières sociales, cherche à identifier des collections adaptées à la diversité des publics. Un projet de « conseil aux lecteurs » est à l’oeuvre dont l’objectif est de proposer des sélections bibliographiques et d’intégrer ces sujets à l’action culturelle.

L’outil Collection HQ a été présenté. Il permet d’interroger plus finement les collections et d’interroger la représentativité des collections traitant de la diversité, de l’équité et de l’inclusion. Cet outil a été testé en Allemagne, en Islande et en Angleterre.

A la fin de son intervention, Fred Gitner met en exergue les QPL’s 100 Most Popular Banned Books! Il s’agit de livres censurés qui ont pourtant toute leur place en bibliothèque.

Table ronde « La bibliothèque, creuset de la diversité».
Barbara Lison, présidente de l’IFLA,
Sophie Bobet, Élisa Neuville et Ludovic Pellegrini, médiathèque de la Canopée Paris
Eleonora Le Bohec, Commission Livr’exil de l’ABF

-Présentation des actions menées dans les bibliothèques de Brême : projet 360 degrés.

Ces bibliothèques emploient des personnes issues de l’immigration qui ont suivi une formation.

La commission Livr’exil accompagne des personnes réfugiées qui souhaitent travailler dans les bibliothèques : elles suivent la formation d’auxiliaire de bibliothèque de l’ABF et font des stages dans des bibliothèques, afin de les accompagner vers l’emploi. L’exemple de Mariam qui a suivi ce parcours est très intéressant. Il faut noter que les bibliothèques ne sont hélas pas encore vraiment identifiées par les organismes officiels (OFII, Pôle Emploi) comme des lieux possibles d’emploi des personnes réfugiées.

La bibliothèque Canopée (Ville de Paris) accueille dans son équipe des collègues sourds. Chaque membre de l’équipe apprend donc les bases de la LSF afin de pouvoir communiquer avec les collègues et le public sourd ou malentendant.

Une observation générale qui est revenue pendant plusieurs échanges : les équipes de bibliothécaires manquent de diversité et de représentativité. Il est plus facile de recruter des contractuels à l’ancrage local dans la Fonction Publique Territoriale. Le programme des concours des bibliothèques pose question à de nombreuses personnes : ils sont très orientés sur l’érudition, pas assez axés sur les compétences professionnelles pratico-pratiques. Maîtriser des langues étrangères est un atout qui fait souvent défaut dans les équipes de bibliothécaires.

La suite de ces journées s’est déroulée à l’Enssib à Villeurbanne, en présence de nombreux et nombreuses élèves de l’école.

En introduction, Annie Brigant, la directrice-adjointe de la Bpi, a rappelé l’importance des droits culturels et de la déclaration de Fribourg : les bibliothèques doivent s’impliquer dans les deux dimensions de ces droits, c’est-à-dire d’une part le droit de voir sa culture représentée et respectée dans les institutions culturelles et d’autre part le droit de participer à la vie culturelle. Ce travail d’ouverture à des cultures et des formes culturelles diverses n’est pas toujours facile, cela peut créer des « frottements », mais cela participe à la richesse de notre métier et cela contribue au renforcement de la cohésion sociale.

La présidente de l’IFLA, Barbara Lison, a commencé par rappeler l’engagement de la fédération internationale en faveur de la diversité. L’organisation se veut le catalyseur d’un mouvement en faveur de l’inclusion et de la diversité que l’on sent traversé toute la profession. Le nouveau règlement de l’organisation, qui favorise la diversité des postes électifs, et son nouveau plan stratégique contribuent à cette ambition.

Bénédicte Jarry, directrice du réseau des médiathèques de Brest, est ensuite revenue sur la mise en place, depuis 2017, d’un budget sensible au genre dans sa ville. Elle est revenue sur le principe de ce genre de démarche qui consiste à essayer de classer toutes les dépenses en trois catégories : les dépenses neutres par rapport à l’égalité femme/homme, les dépenses qui peuvent avoir un impact sur l’égalité et les dépenses qui sont clairement en faveur de l’un ou de l’autre genre (à ce stade, la démarche reste assez binaire, ce qui a été l’objet d’un échange après la présentation). Cette approche générale s’est déclinée à Brest par des objectifs plus spécifiques à la DAC de la ville : 1/ rendre visibles les professionnelles dans les associations et les établissements culturels, 2/ Donner à voir et soutenir la place des femmes dans les productions culturelles, 3/ Assurer la participation du public féminin, 4/ Sensibiliser le public à la question des discriminations de genre. Ces différents points ont fait l’objet d’un travail spécifique aux bibliothèques et ont permis de mettre à jour des biais de genre dans différents domaines et de commencer à mettre en oeuvre des politiques correctives : attention redoublée concernant la mixité de la programmation culturelle, réflexion sur les évolutions de carrières et les postes très stéréotypés en terme de genre (uniquement des femmes parmi les agents d’entretien, uniquement des hommes parmi les agents de surveillance…), expérimentation en terme de communication pour rendre plus mixte le public majoritairement féminin des animations etc. Le point qui semble susciter le plus de réticences et qui demande le plus de pédagogie reste la politique documentaire pour laquelle on manque d’outils d’évolution et de stratégie construite.

Florence Salanouve est ensuite revenue sur les évolutions qu’elle a pu constater dans la profession depuis la rédaction de son mémoire DCB en 2011 « Diversité culturelle en bibliothèques publiques : enjeux, impensés, perspectives« . Selon elle, des enjeux qui ont longtemps été invisibilisés sont aujourd’hui beaucoup plus pris en compte dans les projets culturels et dans les discussions professionnelles, notamment les questions de genre. Florence Salanouve a dirigé l’ouvrage « Agir pour l’égalité. Questions de genre de bibliothèque » dans la collection Boîte à outils des presses de l’Enssib.

Les collègues de la bibliothèque de Vevey ont ensuite présenté avec beaucoup d’humour et de dynamisme leur projet culturel très ambitieux en matière de représentation et de participation des minorités dans leur établissement. Il et elle sont revenu.es sur leur démarche, sur les résistances qui ont pu se manifester mais aussi sur le succès que leurs propositions ont rencontrées auprès de la population. Un travail important a notamment été fait sur les cultures des personnes afro-descendantes vivant en Suisse et sur les questions LGBT+. Si une partie de l’équipe, en désaccord avec le projet, a quitté l’établissement, d’autres professionnel.les au contraire très motivé.es par l’engagement de la bibliothèque l’ont rejoint.

Cette table ronde a été également l’occasion d’échanger sur la notion d’engagement. Barbara Lison, qui est également directrice de la bibliothèque de Brème, a souligné que les bibliothèques étaient dans leur rôle d’établissements publics lorsqu’elles s’engageaient en faveur des valeurs qui sont proclamées par la Constitution allemande. A Brème, les bibliothèques sont très fortement engagées dans le soutien à l’accueil des réfugiés et dans l’égalité des droits. Plutôt qu’une neutralité introuvable et impossible, elle invite les professionnel.les à revendiquer leur engagement sur les valeurs qui sont au fondement du service public et, plus généralement, des constitutions démocratiques. Une intervention très forte et éclairante.

La dernière table-ronde réunissait des représentants des associations professionnels françaises : Abf, ADBU et ADBGV. Dans la continuité des interventions précédentes, les collègues ont souligné la nécessité pour les bibliothèques de ne plus s’engager « en cachette » mais bien d’articuler les valeurs professionnelles traditionnelles de nos métiers, notamment le pluralisme et la défense de la liberté d’opinion, avec des engagements clairs en faveur des valeurs démocratiques d’inclusion et de diversité.

Deux journées très riches dans les sujets des interventions, dans les intervenant·es, qui ont proposé des focus intéressants et éclairants sur des actions en cours ou à développer. A charge pour chaque bibliothèque, chaque équipe, d’interroger les thèmes évoqués et de les faire vivre dans leurs projets d’établissements en fonction de leur structure, de leurs espaces, de leurs collections et de leurs services!


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Commentaires

2 réponses à “Retour sur les deux journées d’étude  » La bibliothèque à l’épreuve des diversités »”

  1. Avatar de Gaëlle Bergougnoux
    Gaëlle Bergougnoux

    Merci beaucoup pour le résumé de ces deux journées qui avaient l’air passionnantes!
    J’ai une petite question linguistique. Il est écrit dans l’article « culture indigène ». Je pense que c’est une traduction de l’anglais « indigenous ». Au Québec nous utilisons le terme « autochtone ». Indigène est-il le terme utilisé/accepté en France?

    1. Avatar de fabbib
      fabbib

      Bonjour, merci pour votre question. Fred Gitner s’est exprimé en français, d’où cet anglicisme. Autochtone est un terme plus courant en français, j’ai donc modifié l’article. Bien cordialement.

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