Un groupe de travail dédié aux questions LGBTQIA+ à la Bibliothèque de Vevey

article écrit par Mylène Badoux, responsable médiation culturelle, Bibliothèque municipale de Vevey

1. Contexte

La Bibliothèque municipale de Vevey (BMV) propose deux programmations culturelles par année. Celle du premier semestre est consacrée à une thématique précise. Quelques exemples :

  • Programme culotté ! : une photographie positive des sexualités (2020)
  • Demain tout ira bien (lol) : six mois dédiés à l’Agenda 2030 (2021)
  • On a plus votre temps : une programmation collaborative sur les cultures afro-descendantes (2022)

Les objectifs de ces saisons culturelles sont les suivants :

  • L’accès à la culture pour toustes ;
  • Faire de la bibliothèque une place de village, un lieu de rencontre ;
  • Ancrer la Bibliothèque dans la cité grâce au développement de partenariats ;
  • Faire réfléchir
    • le public, mais aussi
    • la bibliothèque dans son fonctionnement interne.

Dans le cadre de ce dernier point, un groupe de travail est mis en place lors de certaines thématiques afin de remettre en question notre institution, réfléchir à ce qui mériterait d’être changé et potentiellement développer des offres en lien avec le thème semestriel. Par exemple :

  • Lors du programme Plein écran, en 2016, dédié à l’impact des écrans sur notre société, un groupe de travail s’est réuni à raison d’une fois par mois durant une année afin de répondre aux interrogations de nombreuses familles sur les conséquences de la consommation d’écran de leurs enfants. Cette réflexion a débouché sur la création de l’Espace pixel, un regard bienveillant et critique sur le jeu vidéo.
  • Afin d’élaborer la programmation collaborative On a plus votre temps dédiée aux cultures afro-descendantes, nous avons constitué un groupe de travail composé de deux expertꞏe ꞏxꞏs concernéꞏeꞏxꞏs et de l’équipe de médiation.

2. La médiation à la BMV
L’organigramme de la BMV est composé de trois secteurs :

Il est important de souligner que les résultats que nous avons obtenus jusqu’ici proviennent aussi d’une décision forte de placer la médiation à égalité avec les collections, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres institutions culturelles.

Le secteur médiation est composé d’une responsable de médiation à 80%, d’une auxiliaire à la médiation à 20% et d’une stagiaire en médiation à 80%. Le budget est financé par la Ville de Vevey ainsi que par des fonds privés. La recherche de fonds est gérée par la responsable de médiation.

Les actions de médiation sont créées en se basant sur les questions suivantes :

  • Qui est discriminéꞏe socialement dans son accès à la culture et aux arts ?
  • Qui est maintenuꞏe à l’écart des lieux culturels, de quels lieux et pourquoi ?
  • Comment faire pour que cela change ?

3. Création d’un groupe de travail LGBTQIA+

Dans le cadre du Programme culotté dédié aux sexualités, différentes actions ont été menées avec des intervenantꞏeꞏxꞏs et artistes LGBTQIA+. Suite à ces rencontres et à la lecture du mémoire de Samia Swali, Accueillir des publics LGBTIQ + dans les bibliothèques de Suisse romande : retours d’expérience des professionnel·le·x·s et des premier·ère·x·s concerné·e·x·s, nous avons constaté que le public LGBTQIA+ constitue un public empêché puisqu’il ne fréquente pas ou peu les bibliothèques. Les raisons sont diverses :

  • Accueil du personnel ;
  • Collections non représentatives ;
  • Interactions avec les autres ;
  • Administration genrée ;
  • Infrastructures (WC), etc.

Partant de ce constat, nous avons mis sur pied un groupe de travail composé d’expertꞏeꞏxꞏs concernéꞏeꞏxꞏs et de membres du personnel. Ce groupe s’est réuni à raison d’une fois par mois durant une année (mai 2021 à juin 2022). Nous avons porté une attention particulière à la représentation de ce groupe avec qui nous avons établi un contrat d’employéꞏeꞏx de la Ville de Vevey. En effet, il nous a paru essentiel de les rémunérer bien que nous n’ayons pas pu leur offrir un salaire à la hauteur de leurs compétences. Notre travail s’est porté sur trois axes : l’accueil, les collections et la médiation culturelle.

3.1 L’accueil

3.1.1 Formation du personnel

Une formation du personnel a été conçue sur mesure par deux des membres du groupe de travail. Elle a été donnée à tout le personnel et la BMV a été fermée au public ce jour-là. Durant cette journée, nous avons pris le temps de questionner nos pratiques et nos connaissances afin de créer un espace plus inclusif. Les thèmes suivants ont été abordés : l’accueil, le vocabulaire, les collections, le catalogage, les documents problématiques, la neutralité, la censure et les réactions à avoir en cas de comportements discriminants de la part du public ou d’intervenantꞏeꞏs. Nous avons collectivement adopté un ensemble de pratiques adaptées pour que le public LGBTQIA+ se sente invité à venir et revenir dans la Bibliothèque.

3.1.2 Charte

Le groupe de travail a rédigé une charte qui a été affichée à l’entrée de la Bibliothèque. L’objectif de ce document est de ne tolérer aucun comportement oppressif dans nos infrastructures et activités, en sachant que nous ne pouvons malheureusement pas garantir au public LGBTQIA+ que notre Bibliothèque soit un espace sécurisant, ni qu’il ne subira aucune remarque, regard insistant ou malveillant dans nos murs. La charte informe également les utilisateurices que le personnel est formé à réagir et qu’une adresse mail est disponible en cas de problème. Dans l’objectif d’une vision durable, commune et partagée par tous les membres du personnel, la BMV demande à ces dernier·ère·s de signer individuellement cette charte et de la respecter. La BMV demande cette signature lors de tout nouvel engagement.


3.1.3 WC dégenrés

Depuis septembre 2021, la BMV dispose de toilettes dégenrées afin d’éviter toute signalétique discriminante. Le chemin a été long et pénible pour notre équipe. Lors de l’annonce de nos nouveaux WC sur les réseaux sociaux, notre compte Instagram a été envahi de messages de soutien, mais aussi de messages transphobes provenant principalement de « féministes » françaises n’ayant jamais visité la BMV. Trois WC sur quatre étant partagés avec le Café littéraire, nous avons de plus été confronté·e·s au fait que la réglementation des cafés-restaurants romands rend obligatoire la séparation genrée des toilettes. La police du commerce a même été impliquée en nous demandant de revenir en arrière. Une motion lancée par les Jeunes Vert.e.s étant en cours, nous avons demandé à la Municipalité de maintenir nos WC dégenrés jusqu’à son résultat, que nous espérons positif. Nos WC ont remporté le prix du jury du concours Chouettes Toilettes 2022.

3.1.4 Page dédiée sur le site internet

Une page consacrée au public LGBTQIA+ est accessible sur le site de la BMV. Divers documents et ressources sont disponibles en téléchargement.


3.1.5 Une bibliothèque alliée

La BMV affiche clairement son positionnement en faveur de l’inclusion du public LGBTQIA+ :

  • Un autocollant de bienvenue figure sur la porte d’entrée.
  • Aucun des formulaires (papier ou en ligne) n’exige le genre de la personne. Ils sont rédigés en écriture inclusive. Par exemple, « la personne soussignée » au lieu de « le soussigné ». Pour les enfants et personnes mineures, la signature du parent ou de l’autorité responsable est demandée afin d’éviter les mentions de la mère et du père spécifiquement.
  • Le personnel d’accueil porte un badge avec son prénom complété de son pronom, par exemple :
    « Mélanie (elle) ». La mention du pronom est également présente sur la page du site internet de la BMV dédiée à l’équipe ainsi que dans leur signature de mail.
  • La BMV pratique l’écriture inclusive depuis 2018. Dans la mesure du possible, elle a recours à l’écriture épicène, privilégiée par de nombreuses personnes non-binaires. Lorsqu’elle s’adresse au public LGBTQIA+, elle ajoute le x à l’écriture inclusive.
  • La BMV s’engage pour une non-discrimination à l’embauche et, de ce fait, toutes les candidatures sont bienvenues.


3.2 Les collections

Avant de démarrer le groupe de travail, nous avons épluché les catalogues de différentes bibliothèques, dont la nôtre. Force est de constater que non seulement les collections manquent de représentation, mais elles peuvent même parfois véhiculer des jugements de valeur. De manière générale, nous avons trouvé peu de documents centrés sur les questions LGBTQIA+. Les quelques ouvrages étaient essentiellement des fictions pessimistes, voire passablement dramatiques. De plus, certaines institutions utilisaient encore des indices de classement stigmatisants, par exemple l’indice CDU 176 qui renvoie à la « morale sexuelle », et classaient les orientations sexuelles non-hétéro dans les perversions et les déviances. Nous avons téléphoné à plusieurs associations LGBTQIA+ qui nous ont affirmé avoir constitué une bibliothèque dans leurs murs afin de répondre à un besoin. Nous étions donc loin de remplir notre mission de service public.

Une des premières tâches du groupe a été de trier notre fonds, d’écarter les livres problématiques, puis de l’enrichir et de le visibiliser. A ce jour, le fonds LGBTQIA+ contient 275 titres. Une réflexion a également été faite sur le catalogage et les mots-clés adaptés (homosexualité, homoparentalité, transidentité, non-binarité, intersexe, aromantisme, etc.). Concernant les auteurices transgenres, le morinom ou deadname a été mis en terme rejeté. Les bibliothécaires ont ajouté dans leur veille les sélections pertinentes de la librairie Les mots à la bouche (Paris, France) ou encore de La Rainbowthèque, blog français géré par des bénévoles. La BMV s’est abonnée au magazine queer suisse 360°.

Cette nouvelle collection a ensuite été mise en valeur grâce à :

3.3 La médiation culturelle

Dans sa programmation culturelle, la BMV s’engage à proposer des événements ainsi que des actions de médiation culturelle autour des thématiques LGBTQIA+ sur la durée et non ponctuellement. Elle met en place plusieurs actions tout au long de l’année et non, par exemple, uniquement à l’occasion du 17 mai, journée internationale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie. La BMV privilégie les pratiques participatives et les partenariats avec les publics concernés. Toujours attentive à la diversité, l’inclusion et la représentation, la BMV programme et rémunère des intervenant·e·s ainsi que des artistes LGBTQIA+. Pour les collaborations graphiques et audiovisuelles (illustration, photographie, arts de la scène, …), elle pense également au critère d’inclusion d’artistes LGBTQIA+.

En décembre 2019, l’UDF, parti suisse d’extrême droite, a envoyé une lettre à la Municipalité de la Ville de Vevey pour demander l’interdiction de deux événements programmés dans le cadre du Programme culotté ! : la table ronde Être transgenre aujourd’hui (février 2020) et l’Heure du conte avec la drag queen Tralala Lita (mars 2020). Ce courrier a été suivi d’une pétition restée sans écho. L’UDF soulevait notre manque de professionnalisme car nous invitions des personnes trans sans convier des médecins ou des personnes « contre » la transidentité. Plusieurs journaux régionaux se sont intéressés à cette situation. Nous avons refusé de rédiger un contre argumentaire. À notre sens, nous n’avons pas à être pour ou contre les personnes transgenres. Ces personnes existent et les personnes cisgenres n’ont pas à en débattre. Quant à Tralala Lita, ces moments joyeux permettent au jeune public de rencontrer des personnes différentes, aux parents de se questionner sur l’éducation genrée de manière générale et aux bibliothèques d’offrir un espace proche du monde dans lequel nous vivons.

Certainꞏeꞏs collègues nous ont reproché un manque de neutralité, principe inscrit dans le Code d’éthique pour les bibliothécaires et les professionnelꞏleꞏs de l’information suisses, rédigé par Bibliosuisse. À notre sens, la neutralité n’existe pas. Tout est politique, même les toilettes, comme nous l’avons vu plus haut. La neutralité permet souvent le statut quo, mais peut également représenter une excuse pour éviter d’entreprendre une action importante. La grande majorité des réactions du public étaient positives voire enthousiastes. Le positionnement d’une institution publique a été vivement salué.


3.4 Relais et diffusion

Dès le départ, nous avons proposé au groupe de travail de diffuser en parallèle nos actions à d’autres bibliothèques, institutions culturelles et services de la Ville de Vevey. Dans cet objectif, nous avons été un partenaire actif du Laboratoire des bibliothèques de Bibliomedia afin de co-rédiger des fiches pratiques à l’intention des bibliothèques et d’organiser une journée de médiation dédiée au public LGBTQIA+ lors de laquelle le groupe de travail est intervenu.

4. Impact positif

Les programmations thématiques de la BMV ont bénéficié d’un rayonnement appréciable dans la Romandie (bassin : Genève – Valais), mais aussi dans les médias. L’intérêt universitaire ainsi que des hautes écoles (mémoires, enquêtes, recherches, articles, …) prend également de l’ampleur. Les inscriptions et la fréquentation sont à la hausse. Les programmes Culotté ! et On a plus votre temps ont eu une influence notable sur la diversité des utilisateurices. De manière générale, on peut observer un impact durable sur l’image de la Bibliothèque.

5. Conclusion

Mettre sur pied ce groupe de travail et en faire partie a été une expérience forte pour toute notre équipe : découvrir les écueils que rencontrent au quotidien les personnes concernées, réfléchir ensemble aux mesures à entreprendre, déclarer notre amour pour les bibliothèques et aspirer à ce qui pourrait les rendre meilleures. Chaque rencontre a débuté par une excitation palpable et s’est terminée par une puissante envie de retrousser nos manches. Nous avons une profonde reconnaissance pour l’implication des membres de ce groupe et une grande fierté du travail accompli. Les bibliothèques ont un potentiel immense et unique pour la médiation culturelle. Continuons d’entreprendre pour que le plus grand nombre en ait conscience.


Publié

dans

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *