Ecriture inclusive et communication sans stéréotype

Quelques années après un premier article sur les enjeux et les modalités de l’écriture inclusive, la commission Légothèque revient sur ce sujet et vous propose de faire le point. En effet, une récente proposition de loi (février 2021) pour « interdire l’écriture inclusive dans les documents administratifs » qui n’a pas abouti a replacé ce sujet sur le devant de la scène. Il convient donc de le remettre en perspective afin de cerner les enjeux réels d’une écriture inclusive et accessible au plus grand nombre via le prisme d’une communication sans stéréotype.

L’enjeu de l’écriture inclusive : une communication sans stéréotype

Nous nous référons souvent au guide Pour une communication publique sans stéréotypes de sexe, rédigé par le Haut Conseil à l’égalité, qui décrypte les stéréotypes dans les images et dans l’usage de la langue et propose des recommandations pour une communication égalitaire.

La communication non sexiste expliquée en 4 minutes

Comme évoqué dans cette vidéo, nous pensons qu’intégrer dès le plus jeune âge que « le masculin l’emporte sur le féminin » n’est pas complètement anodin, que le langage participe de la construction de soi et véhicule une vision du monde. Eliane Viennot a bien montré dans son ouvrage Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin que le féminin a peu à peu été écarté de la langue française à partir du XVIIème siècle par des grammairiens peu enclins à reconnaître les capacités des femmes à exercer certaines fonctions.

C’est ce que défend aussi Claudie Baudinot dans son livre « Le sexe des mots, un chemin vers l’égalité« . La langue est sexiste. Elle reflète les stéréotypes, autant féminins que masculins.

Accessibilité de l’écriture « inclusive » pour les enfants, les dyslexiques, les personnes en difficultés avec la langue …

Il est vrai que certaines modalités de l’écriture inclusive peuvent gêner la lecture et entraver la compréhension. Et en matière d’inclusion, il est important de prendre tout le monde en considération. Notons d’ailleurs que le terme « inclusion » s’applique à la question de la place des femmes dans la société, mais pas seulement. Nos collègues de la commission AccessibilitéS ont par exemple publié récemment un ouvrage intitulé Accessibilité universelle et inclusion en bibliothèque, autour de l’inclusion des personnes en situation de handicap, dont nous vous recommandons la lecture.

Mais allier une plus juste représentation des femmes dans la langue tout en restant accessible au plus grand nombre est possible!

Nos recommandations pour une écriture inclusive et accessible

De nombreuses dispositions de l’écriture inclusive ne posent aucun problème d’accessibilité ou de compréhension.

1. Privilégier l’emploi d’une écriture épicène, c’est à dire « neutre« . Par exemple, parler de « L’équipe enseignante » au lieu de « l’enseignant » ; écrire « Vous souhaitez visiter la bibliothèque avec un groupe ? » au lieu de « L’animateur est invité à découvrir la bibliothèque avec son groupe » ; « Les responsables de bibliothèques » au lieu de « les directeurs ».

2. Utiliser le « doublet ». Par exemple, écrire : « Exposition réalisée par les illustratrices et les illustrateurs des éditions xx » ; « Les usagers et les usagères », indiquer dans une offre d’emploi « Médiateur ou Médiatrice numérique »

3. Accorder les noms de métier et fonctions au genre de la personne concernée. Par exemple, « Nadia est cheffe de projet pour la Nuit de la lecture » ; « je suis assistante de conservation, agente de bibliothèque, conservatrice, animatrice … »

Longtemps rétive à cette évolution, l’Académie française a fini par adopter en février 2019 à « une large majorité » un rapport sur la féminisation des noms de métiers soulignant qu’il n’existait « aucun obstacle de principe ».

4. Utiliser l’accord de proximité. Exemple : « Les traducteurs et les traductrices sont compétentes »

Accessibilité et marqueurs typographiques

L’écriture inclusive privilégie également l’emploi de points médians (ALT + 0183), tirets etc. pour marquer les deux genres d’un mot. Ces marqueurs typographiques sont critiqués car ils pourraient perturber la lecture, notamment pour les personnes dyslexiques, ou aveugles ou malvoyantes qui utilisent des logiciels de synthèse vocale, ou les personnes en apprentissage ou en difficulté avec la langue écrite. De plus, nous avons peu l’habitude de les voir utiliser, cela provoque donc de prime abord de nombreuses réticences.

Nous conseillons donc d’utiliser ces marqueurs typographiques avec parcimonie, et de plutôt privilégier les autres formes d’écriture inclusive lorsque cela est possible. Ainsi, nous utilisons parfois sur le blog Légothèque le format « les enseignant·e·s » (également utilisé par la Ville de Paris), mais il existe une multitude d’options possibles. D’autres collectivités comme Lyon et Périgueux se sont également engagées en faveur de l’utilisation d’une écriture inclusive.

Il est toutefois important de souligner que marqueurs typographiques et accessibilité ne sont pas forcément incompatibles.

Concernant la dyslexie, certains marqueurs typographiques permettraient au contraire de faciliter la lecture.

Concernant la synthèse vocale, des solutions existent. Ainsi, Boris Schapira, développeur web, évoque dans son article « Mon propre guide d’écriture inclusive » des solutions de développement web qui rend accessible aux logiciels de synthèse vocale l’utilisation des points médians.

« Parce que l’inclusivité inclut aussi le handicap, je ne souhaite pas que la graphie particulière du point médian gêne les utilisateurs et utilisatrices d’une synthèse vocale. J’ai donc décidé de « décorer » ces extensions inclusives d’un élément span ayant l’attribut aria-hidden="true" par le biais de mon plugin de correction microtypographique pour Jekyll. »

Vincent Valetin, également développeur, propose une synthèse sur l’accessibilité des graphies de l’inclusivité.

Recommandé par nos collègues de la commission AccessibibiltéS, l’article « Langage non genré et accessibilité« , de Sylvie Duchateau, médiatrice en accessibilité numérique, insiste également sur le fait qu’ »un lecteur d’écran performant est un outil que l’on peut personnaliser »!

De manière générale, comme l’écrit  Sylvie Duchateau, »Lorsqu’une convention de rédaction non genrée sera établie, les habitudes se feront et il sera ensuite possible de trouver la façon la plus appropriée de gérer cette écriture avec un lecteur d’écran. En attendant, les débats restent ouverts ! »

Merci à Marie-Noëlle Andissac, Françoise Martinelli, Claire Zuliani et Boris Schapira pour les informations transmises.

A chacun, chacune de trouver les modalités qui lui conviennent le mieux afin de rendre l’écriture plus représentative et moins sexiste : il y a de multiples possibilités!


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