10 ans de construction individuelle… et collective !

Il y a dix ans, l’intersectionnalité était plus une intuition qu’un concept rigoureusement construit. Mais c’est heureusement cette intuition qui guida la création de Légothèque.

À l’origine, à l’été 2011, quelques collègues en France se questionnent notamment sur le rôle politique des bibliothèques alors qu’aux États-Unis, le gigantesque congrès de l’ALA ouvrait sur une conférence autour de la fin de la loi « Don’t ask, don’t tell ». Comment dès lors porter également ces questions de ce côté de l’Atlantique ?

Ce rôle politique est entendu de plusieurs façons. Il s’agit d’abord de considérer que la bibliothèque a un rôle à jouer dans la construction de l’individu et se doit donc d’interroger les rapports entre culture et pouvoir dans la société mais il s’agit tout autant d’interroger la place de la bibliothèque comme agent d’exercice de ce pouvoir ou comme espace d’émancipation. Une considération qui s’inscrivait dans un courant plus large, de plus en plus prégnant, soulignant le rôle social de la bibliothèque et notamment à œuvrer à la réduction des inégalités.

L’occasion aussi de donner de la visibilité aux questions LGBT (à l’époque le Q, le I et le + n’étaient pas non plus très pensés) dans ce monde des bibliothèques quand nos parcours politiques respectifs nous entrainaient à penser la question des discriminations de façon large et à nous interroger sur la façon d’adopter une approche la plus inclusive possible pour ne pas entrer dans le jeu de la compétition entre les discriminations et des hiérarchies entre les oppressions. Et puis la réification identitaire nous fait toutes et tous un peu tiquer, nous qui avons été nourris de sociologie constructiviste et culturaliste.

Couverture du numéro 80 de la revue Bibliothèque(s) sur l’inclusion, codirigée par les commissions Handicap et Légothèque

La lecture des ouvrages de Michèle Petit sur la pratique de la lecture fut un déclic : il fallait prendre les choses dans l’autre sens ! D’un part déconstruire les stéréotypes et d’autre part promouvoir la diversité des matériaux culturels disponibles pour aider à la construction identitaire de chacun et de chacune. Par ce retournement, nous retrouvons aussi des fondements du métier de bibliothécaires : encourager une approche critique de l’information et défendre le pluralisme culturel !

Le texte fondateur de la commission (https://legothequeabf.wordpress.com/texte-fondateur/) fut une première tentative pour cristalliser ces intuitions et tracer une feuille de route à une commission à l’approche un peu expérimentale.

Car il nous a semblé tout de suite nécessaire d’inscrire l’action de notre petit groupe dans le cadre plus large mais ô combien porteur d’une association professionnelle. Et l’AbF, en ce qu’elle s’adressait à tout type de bibliothèque nous a paru la mieux à même de porter notre discours et de nous aider à accompagner l’ensemble de la profession dans une réflexion autour des axes que nous souhaitions aborder : Les questions de genre, l’orientation sexuelle et sentimentale, le multiculturalisme.  

Il faudra quelques mois encore pour affiner notre projet et pour le présenter en janvier 2012, puis le faire accepter, auprès du Conseil national afin de créer la commission « Légothèque » (dont le nom reprend les notions de construction, de soi, de lecture) au sous-titre alors évocateur : bibliothèques, construction de soi et lutte contre les stéréotypes. Les discussions furent animées, comme souvent, mais il faut reconnaître et remercier ici le soutien indéfectible du bureau de l’époque et la confiance notamment que nous a accordée la présidente Anne Verneuil.

Les années suivantes, les débats autour du Mariage pour tous, les appels à la censure des titres de littérature jeunesse sur le genre, les questions sur le droit de vote des étrangers dans les élections municipales, ont tous souligné l’actualité des dossiers portés par la commission et combien il importait que les professionnels des bibliothèques s’emparent de ces questions.

Dix ans et beaucoup de travail plus tard, notre approche fondamentalement intersectionnelle, ouverte, semble ainsi avoir démontré sa pertinence et permis d’ouvrir de nombreuses discussions, qu’il s’agisse d’interroger les collections, les espaces (l’accès aux collections et aux ressources), les services, jusque et surtout nos propres pratiques professionnelles.

Les actions de Légothèque essaient de traduire ces réflexions en proposant des outils à la communauté professionnelle, qu’il s’agisse d’outils de réflexion ou d’actions plus concrètes.

Elle a ainsi pu proposer un séminaire de recherche sur les Cultural Studies et la notion d’accueil, a participé et organisé des journées d’études comme en 2013 à Toulouse sur la notion d’inclusion en partenariat avec la commission Handicap. Mais également en Suisse, en Belgique, en Allemagne et dans plusieurs régions de France. Elle a parlé citoyenneté, laïcité, immigration, compétences, partenariats lors des congrès de l’AbF.

Au-delà, elle donne à voir les réalisations des établissements, signale les centres de ressources dans une carte interactive, relaie les initiatives locales, valorise les bibliographies thématiques… Elle a monté des partenariats avec la DLL Saône et Loire pour proposer une exposition sur le genre librement téléchargeable (et actuellement en cours de refonte), participe de groupes internationaux au sein de l’IFLA, a présenté un poster scientifique sur la médiation du document avec l’ISH de Lyon et la fédération des Recherches sur le Genre.

flyers produit à l’occasion du congrès de l’IFLA à Lyon en 2014

Elle accompagne les professionnels via des articles dans la presse spécialisée, propose un répertoire des formations sur les thématiques qui l’intéresse, initie une réflexion sur les compétences à mobiliser pour l’accueil de publics spécifiques, traduit et recense les communications à des congrès internationaux dans un ouvrage numérique gratuit paru aux Presses de l’Enssib : « Des bibliothèques gay friendly? Conférences sur les questions de genre dans les bibliothèques » discute la représentation même de la profession vis-à-vis des publics desservis ou se demande comment associer engagement et neutralité.  

Et elle prend position. Contre la censure de Tous à poil !, pour l’écriture inclusive, sur l’égalité femme-homme dans le champ culturel et médiatique… afin de combattre la violence sous toutes ses formes par l’information et la compréhension. Des combats portés à l’intérieur même de l’association.

Loin alors de prétendre fournir du prêt à penser, Légothèque souhaite surtout stimuler et nourrir la réflexion professionnelle.

En interrogeant nos pratiques professionnelles sous des angles féministes, anti-racistes, pro-LGBT mais aussi sensibles aux questions de classes sociales et de discriminations culturelles, elle essaie d’accompagner ceux et celles qui le souhaitaient dans des démarches plus inclusives et plus ouvertes à la diversité des usages et des usagers. 

Il reste de nombreux dossiers que la commission souhaite porter, et de nombreux que vous pourrez porter avec elle. L’engagement militant volontaire qui était à l’origine de la création de Légothèque demeure ici présent et semble malheureusement plus que jamais d’actualité.


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2 réponses à “10 ans de construction individuelle… et collective !”

  1. […] de la Légothèque en 2021. Cette précédente année fut riche en échanges et en actions, d’autant plus que la Légothèque fête ses dix ans d’expérience […]

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