Zines, contre-culture et débat public : retours sur une conférence.

Comme les temps sont à la morosité et à l’isolement pour la plupart d’entre nous, nous vous proposons de (re)découvrir les zines afin de nous occuper durant nos confinements.

Pourquoi parler des zines ?

La commission légothèque s’intéresse aux productions issues de la communauté LGBTQIA+ et aux productions relatives au genre. Or les zines ont été largement investi par des communautés qui n’arrivaient pas à publier ailleurs leurs idées. En tant que forme à la fois artistique, politique et artisanale ancienne, la forme du zine permet de « faire communauté » malgré les distances. Et on en a bien besoin ces temps-ci!

Pour revenir sur l’importance des zines, une conférence/débat organisée par la Coop coup d’griffe sur internet permet de mieux connaitre cette production foisonnante et créative. Coop coup d’griffe est un collectif québécois qui organise des ateliers de création, de publication et de diffusion de zine outre-atlantique.

Cette conférence organisée sur internet peut être revisionnée sur Youtube. Elle portait sur la question, très globale, « comment la contre culture et plus spécifiquement le zine, peuvent-ils influencer la réflexion sociale et le débat public ? ». Vaste sujet traité et débattu par les deux organisatrices, deux créatrices de Zines au sein de la Coop Coup D’griffe et leur invité, Izabeau Legendre, chercheur doctorant en Études culturelles et Études françaises à l’université Queen’s (Canada).

Mais tout d’abord, c’est quoi un zine ?

Pour commencer la conférence, les intervenant.e.s tentent de définir les trois termes qui forment le fil rouge de ce débat : zine, contre-culture et débat public.

Le zine (ou « fanzine » dans sa forme longue) est un mot difficile à définir quand on ne sait pas précisément à quoi il réfère. Izabeau Legendre propose cette première définition : le zine est « une production imprimée autoproduite et auto diffusée dans la logique du « Do It Yourself ». Comme c’est en marge des institutions et des acteurs classiques de la production culturelle, on pourra toujours trouver des contre-exemples à cette première définition. » Ce n’est donc pas tant dans les thèmes abordés par les zines que dans leur forme et leurs circuits de diffusion qu’on peut imaginer une définition des zines.

Un bref historique. 

En effet les thèmes ne permettent pas de définir les zines. Si originellement les premiers zines datent des années 1930 et traitent de science-fiction, le véritable développement intervient surtout dans les années 70, notamment dans les cercles punks et proches de la scène rock underground où le zine traite principalement de musique mais se politise de plus en plus.

Sniffin’ Glue, un des plus célèbre zine des années 70, était notamment l’occasion de mener des interviews avec de grands groupes de punk.

La particularité des zines est qu’il va vite proposer autre chose qu’un avis éclairé sur une passion (musique, football ou autre sujet) pour aborder des thèmes plus larges comme le mode de vie. Ainsi, le mouvement Punk s’est largement développé esthétiquement en utilisant les zines pour défendre une esthétique vestimentaire. Les zines proposent souvent un univers graphique original en mettant en lumière, par exemple, des artistes tattoueurs. Progressivement, le zine s’agrémente de récit de vie et devient parfois autobiographique. La pluralité des genres est souvent une caractéristique forte : poésie, chansons, collages et créations visuelles, jeux avec la sérigraphie, dessins, manifestes politiques sont autant de possibilités de formes qui peuvent composer un zine.

Autre particularité, qui permet de réfléchir à la seconde notion clé de cette conférence, est qu’il est le propre des marges politiques et qu’il s’inscrit dans la « contre-culture ». Les zines s’inscrivent volontairement en dehors des processus de production et de diffusion culturels classiques. Les auteur.e.s sont conscient.e.s que les idées qu’ils développent, les formes artistiques qu’ils proposent seront reboutés par des maisons d’éditions ou des revues classiques. A ce titre, ils fonctionnent bien comme des acteurs majeurs de la contre-culture. Izabeau Legendre souligne que le concept de contre-culture date des années 60/70. Il permet de définir, de manière générique et parfois quelque peu méfiante, « les mouvements de jeunes, souvent urbains, qui tentent de s’émanciper de la culture dominante (mouvements hippies, mouvements punks…) ». La rupture se fait non seulement dans les formes artistiques mais également dans les modes de vie, les pratiques personnelles et collectives. D’où l’aspect culturel au sens large du terme.

Du côté politique d’ailleurs, il faut bien se garder de faire du zine une forme propre aux mouvements « d’extrême gauche » ! Si ce sont souvent les extrêmes (politiques ou non) qui utilisent les zines pour exprimer et diffuser leurs idées à des cercles restreints, il existe des zines de droite voire d’extrême droite nous rappelle Izabeau Legendre.

Mais qui écrit des zines ?

C’est sur ce point également que la forme des zines est intéressante et nous intéresse dans la mesure où le zine est avant tout un phénomène collectif. Ainsi, les zines s’inscrivent dans le débat public, notion des plus « floue » selon Izabeau Legendre et que l’on pourrait définir comme suit : « l’expression des idées qui circulent dans l’espace médiatique », lui-même reflet plus ou moins fidèle des idées qui circulent dans l’espace public, la société. Or, les contre- cultures cherchent à s’opposer, à exister en dehors des lieux de débat conventionnels. La question qui se pose alors est de savoir quelle est la place qu’occupent les idées de la contre-culture au regard des idées mainstream ?

Dans un article universitaire, Geneviève Pagé, analyse le corpus des zines féministes et queer. En invoquant les théories de Nancy fraser (1990) sur la réappropriation des discours politiques ainsi que les théories de la sphère publique de Jürgen Habermas, l’auteure précise :

« Leur esthétisme particulier, le langage à la fois vulgaire et pédagogue ainsi que les moyens d’échanges et de distribution, permettent la création d’un contre-public, d’une sphère de délibération rationnelle à l’extérieur de la sphère publique dominante. De plus, […] l’existence de ce contre-public permet une modification de la position de subalterne des personnes exclues, qui, à leur tour, stimulent non seulement un engagement dans la sphère publique, mais également une modification de la logique et des règles qui la sous-tendent. »

Pagé, Geneviève. « L’art de conquérir le contrepublic : les zines féministes, une voie/x subalterne et politique? » Recherches féministes, volume 27, numéro 2, 2014, p. 191–215.

On constate d’ailleurs dans l’histoire des zines qu’il y a des phénomènes de rupture dans la manière d’exprimer des idées déjà en marge ! Ainsi, le mouvement culturel et social Queercore des années 1990 veut remettre en question de nombreux aspect des mouvements punk encore très actifs à l’époque. Des autrices de cette période souhaitent sortir du modèle du zine des années 70/80 où le zine est alors très attaché à l’idée de masculinité et où les valeurs et les modèles représentés sont encore très masculinistes (éloge de la force, de la virilité, de la violence). Apparait des zines féministes très engagés comme Jigsaw, coécrit par la chanteuse punk Tobi Vail du groupe Bikini Kill qui laissent place à de nouveaux thèmes (fragilité, figure de la jeune fille) avec un ras le bol de la culture punk qui reproduisait, selon les autrices, des éléments centraux de la culture patriarcale dominante. On retrouvera ces thèmes dans le mouvement Riot Grrrl très productif et proposant un manifeste féministe choc. Les Riot Grrrl proposent ainsi un « safe space » permettant de mettre en relation des personnes qui ne peuvent se retrouver ailleurs ou dont la parole reste invisibilisé.

 

L’importance de la communauté

Or, c’est sur ces points précis que les zines attirent notre attention, à la commission légothèque. Comme le martèle Izabeau Legendre dans son intervention, le zine, c’est avant tout sa communauté. Communauté d’auteur.e.s et communauté de lecteur-ice qui regroupent parfois les même personnes.  Contrairement aux processus de diffusion traditionnels où les maisons d’impressions fonctionnent comme des validations/des acteurs de légitimation du contenu publié, le zine refuse ce procédé. Il promeut au contraire la possibilité de publier ce que l’on veut et comme on le souhaite. Le lecteur est par ailleurs fortement invité à également produire et publier à son tour.

Collectifs d’auteur.e.s, collectifs auto-gérés, associations, groupes d’amis ou d’anonymes se regroupent afin de porter leurs idées et leurs ressentis sur le monde. Mais Izabeau Legendre précise qu’il existe également des zines autonomes, créés par une seule personne mais dont le public peut être large. La communauté est ici à comprendre au sens large d’un cercle de personnes que le zine rassemble. Ainsi à la question « qui peut écrire des zines ? », les intervenant.e.s s’exclament d’amblé et sans hésitation « tout le monde » ! cette forme n’est pas le propre de telle ou telle communauté ou groupe d’appartenance. C’est bien ça, la force motrice des zines : proposer un espace « safe », protégé, où tout un chacun peut publier ce que bon lui semble.

Et internet dans tout ça ?

Le net a considérablement bouleversé notre manière de dialoguer à distance. La conférence revient sur cet aspect central qui a naturellement impacté le zine. D’un côté les réseaux sociaux et internet ont permis la participation à la création et à la diffusion de zines (que parfois on ne trouve que sous forme numérique). Pour autant, les réseaux ont aussi permis le déplacement des thèmes présents dans les zines dans d’autres lieux de débat (groupes facebook ou twitter…) avec ou sans zines à la clé ! Ainsi, si les premiers zines ont vite parlé par exemple de grossophobie ou d’autres sujets politiques, ces sujets sont plus naturellement débattus sur internet de nos jours. Désormais, les zines semblent comme « en retard » sur les réseaux sociaux, ils n’arrivent plus à innover quand le débat nait sur internet avec des thématiques nouvelles.

En revanche, internet ne peut pas rivaliser avec le « fait main » et les différents procédés artistiques en œuvre dans le zine (sérigraphie, usage du thermocollant, jeu avec les photocopies, collages, peinture…). Tout cela ne peut pas être répliqué sur un forum précise Marianne, créatrice de zine. Plus grande est la liberté, dans le monde physique, par exemple avec les jeux de couleurs, de matière, de formes. Il existe ainsi des savoir-faires, parfois très expérimentaux qui peuvent se transmettre aussi par le zine grâce au dialogue entre les auteur.e.s/artistes et les lecteur-ices.

Vers une muséification du zine ?

Le Zine apparait donc comme une forme artistique à part entière. Il rappelle à bien des égard le livre d’artiste, qui serait son pendant « légitime » dans l’histoire de l’art classique (on pense à la collaboration artistique entre Sonia Delaunay et Blaise Cendrars sur le poème la Prose du transsibérien express en 1913 par exemple).

Une question dans l’assemblée (virtuelle, COVID oblige) interroge ce lien profond entre zine et création artistique et nous interroge également en tant que bibliothécaires et que représentants d’institutions culturelles qui ont longtemps refusé de reconnaitre comme légitime certaines productions littéraires ou artistiques. La question portait sur la muséification à laquelle accèdent certains zines. Est cité en exemple le zine « Sniffin Glue », un des plus célèbre zine punk des années 70 qui est rentré au Moma récemment. Une reconnaissance de choix. Autre exemple, à Poitiers, il existe même une fanzinothèque. Mais ce processus ne risque-t-il pas d’essouffler le mouvement des zines dans certaines communautés ?

Cette question est importante car on constate effectivement que de plus en plus de mouvements undergrounds bénéficient de mise en lumière par les institutions culturelles. On peut citer par exemple l’entrée de créations et de tenues des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence à l‘inventaire du Mucem, un acte fort qui reconnait le rôle culturel des drag queens dans la lutte contre le sida, bien que cette lutte soit mal vue par certains détracteurs dans la mesure où les dragqueens ont souvent revendiqué des discours et des actions « politiquement incorrects ». Ces actes de reconnaissances sont capitaux car ils permettent de faire des institutions culturelles des lieux de débats forts où ne sont pas préservés et exposés uniquement des éléments de la culture mainstream et reconnaissent ainsi le caractère fondamental de l’engagement de la culture underground.

Alors où serait le problème ? Sur le temps long on peut constater une forme de perte politique d’engagement dans certains zines, processus que pourrait accélérer l’entrée dans certaines collections. Bien plus, cela risquerait de faire croire que la pensée développée dans les zines est figée alors qu’au contraire, elle reste perpétuellement en mouvement. Pour autant, comme le précise une des intervenante dans la conférence, l’écriture d’un zine, comme tout passage à l’écrit donne une exigence de formulation quelle qu’elle soit : il faut bien formuler sa pensée (politique ou non) avant de publier et d’être lu.e ! le passage à l’écrit permet de murir la pensée politique et militante. Cela interroge bien sûr la question de la rétrospection : ce qu’on a écrit y a 5 ans n’est peut-être plus d’actualité. Pour autant, une préservation « en règle » permet de retracer une histoire des idées underground. Il faut toutefois veiller à ce que la muséification de certains zines n’écrase pas l’envie de créer de nouveaux zines. Ou encore que les conditions de préservation et d’exposition rendent plus difficile la lecture, le feuilletage des zines. Voilà de quoi méditer sur le rôle de médiation des bibliothèques ou des musées vis-à-vis du zine et des cultures underground en général.

D’un point de vue politique cette fois, le zine reste un média capital car il déplace le phénomène de production/consommation des idées. Izabeau Legendre explicite cette idée dans les termes suivant : selon lui, les zines opèrent quelque chose de nouveau dans le débat public : grâce au zine, on arrête de consommer de la culture pour faire culture grâce à la communauté. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les réseaux sociaux n’ont d’ailleurs pas forcément aboli cette consommation de la culture ! « On a l’impression qu’il y a un mur entre les gens qui parlent et des gens qui écoutent qui a été brisé par la télévision (ou les réseaux sociaux) mais ce sont aussi des espaces qui sont entièrement colonisés par le capitalisme avec une marchandisation des discours ; les pratiques en ligne sont en réalité un déplacement de la frontière entre les gens qui consomment et ceux qui produisent. Au contraire, la culture du zine est une réappropriation de la culture qu’on produit et de celle qu’on consomme ». C’est avec cette promesse de réappropriation des discours que le zine s’impose comme un outil important dans le débat public et ce pour l’expression des idées marginales ou novatrices.

Références / Pour aller plus loin

Le site de la Coop Coup D’griffe, organisateur de la conférence, vaut le détour visuel. Le site présente et recense de nombreux projets de zines.

Le site de la Paris Ass Book Fair recense de nombreux artistes présents lors des conventions annuelles de cet événement dédié au Fanzine et qui se tient lieu au Palais de Tokyo.

Le blog Brokenpencil (anglais) recense tous les événements à portée nationale ou internationale autour du zine dans le monde entier.

Sur facebook, on trouve facilement de nombreux zines qu’il serait trop long de tous présenter ici. Par exemple, le zine Ronces Zine interroge le concept de « féminité » et notamment autour de la figure des sorcières. la page Fanzine BUTCH affiche clairement de L de LGBT. Le zine It’s been lovely but I have to scream now revendique le « fait à l’ancienne »: leur production est visible via les liens présents sur facebook. Le groupe Fanzinosphère propose des coups de projecteurs sur différents projets de zines.

Le site de l’ARCMTL, organisme consacré à la promotion et la conservation de la culture locale indépendante de Montréal propose de nombreux zines notamment via son onglet expozine.ca qui promeut l’événement du même nom. La page montrealundergroundorigins met en lumière la production underground des années 60 et 70 à Montréal.

https://www.arcmtl.org/

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