Samuel Paty, enseignant

Vendredi 16 octobre, nous avons appris que Samuel Paty, enseignant en histoire et géographie, a été assassiné à la sortie de son collège juste parce qu’il exerçait son métier avec cœur, à savoir un cours d’éducation civique sur la liberté d’expression où il a montré des caricatures.

Incompréhension, tristesse, colère nous assaillent, car ce qui est en jeu dans cet assassinat terroriste, ce sont plusieurs choses qui fondent notre citoyenneté dans la vie et à l’école : la lutte contre l’intolérance, contre le racisme ; la liberté de (ne pas) croire en une religion et de l’exercer dans la sphère privée ; la laïcité ; la liberté de la presse, d’opinion ; le droit à la caricature et au blasphème pour ne citer que ces quelques items.

Les membres de notre commission Légothèque s’intéressent en particulier à la construction de soi et dénoncent les stéréotypes de toute nature.
Se construire est un cheminement tout au long de la vie ; c’est s’interroger sur qui on souhaite devenir, se confronter à l’altérité, à des points de vue différents des siens et débattre, sans haine ni violence, comme dans cette agora que représente l’Ecole. Mais se construire, c’est aussi au sein de la famille, avec ses ami-e-s, ses collègues de travail, bref dans chaque situation de la vie où notre être intime s’interroge.

Nous souhaitons donc exprimer dans cet article ce que l’Ecole au sens large (pas seulement un cours d’histoire géo ou d’éducation civique) nous a apporté dans notre construction comme individu-s éclairé-e-s.

Mes bancs d’écoles étaient durs et râpeux. Les murs tombaient en lambeaux, l’eau coulait du toit mais les profs persistaient à s’accommoder de ce décor miteux. Les gosses ramenaient des barres de fer pour jouer aux cow-boys, les plus grands un flingue pour épater les petits. Les insultes quotidiennes, les quolibets, les rires.
Dans des endroits pareils, sur la route du succès républicain où les professeurs font office à la fois de premier secours et d’agent de police, on comprend vite qu’il y a deux vitesses, surtout pour moi, petit blanc venu du bon quartier. On nous oriente comme on peut, entre nos rêves et nos déceptions, entre notre potentiel et nos limites. Ils étaient là comme ils pouvaient, nos profs, pour faire agents de circulation entre deux cours, dans un couloir, dans un aparté après les cours. Ils prennent du temps. Leur temps pour nous aider, nous encourager comme ils peuvent malgré tout ce qu’ils savent et qu’ils ne nous diront pas forcément : qu’après l’école il peut y avoir le chômage, la précarité, la drogue, la violence. Quand il n’y a pas déjà tout ça à la maison.
Alors on s’accroche et on s’arrache les ongles à gratter le papier.
Alors j’ai appris. J’ai appris qu’il faut rêver pour se façonner. J’ai appris à aimer comme Fabrice et Clélia, comme Tristan et Isolde ; à pleurer avec Violetta, à me défendre comme Agnès face à Arnolphe, à séduire comme Carmen. On ne m’a pas appris qu’1 homme + 1 homme ça pouvait faire deux dans mes cours de maths même si mes professeurs faisaient ce qu’ils pouvaient pour résoudre l’équation à plusieurs inconnues. On ne m’a pas appris que dans mon corps, dans mon cœur, le masculin ne l’emporterait pas sur le féminin contrairement à ce qu’en pensaient les autres. C’est plutôt Bowie et Gaga qui me l’ont dit.
J’ai appris à me taire. Ne plus danser ou chanter parce que « ça fait trop P.D ». Mais j’ai appris à m’extraire de tout ce qui essayait de m’assigner à perpétuité.
J’ai aussi appris que tout n’était pas dans les Sénèque, les Cicéron, les Thucydide. Qu’il fallait partir, prendre la clef des champs comme Rimbaud, ou encore « Plonger au fond du gouffre, enfer ou ciel qu’importe! / Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau » pour rencontrer, discuter, comprendre cet Autre toujours mystérieux. Que c’était dur. Que souvent on allait se prendre des claques pour être trop ceci ou pas assez cela. On m’a appris qu’on est trop différents pour s’entendre sur tous les sujets mais qu’au moins on devait essayer.
J’ai appris des conneries. J’en ai entendu surtout. Mais surtout, les bons professeurs m’ont appris à les voir venir de loin, les conneries, et à les éviter. A ne pas hésiter à prendre cette « road not taken », cette route pleine de broussailles, même si elle est sombre, qu’elle est boueuse et qu’elle semble ne mener nulle part. Prendre ce chemin pour que toutes les conneries ne nous éclaboussent pas. On m’a appris à prendre ce chemin difficile et plein d’épines. Parce que juste à côté, sur la route de la banalité et des opinions convenues, les éclaboussures de l’intolérance risquent de ternir mon arc-en-ciel intérieur par leurs fausses vérités.
Vous l’aurez compris, je ne pouvais pas devenir professeur après cela. C’était trop difficile pour moi de me confronter toute ma vie à tout ça.
Merci à elles et eux. A celles et ceux qui m’ont tenu la main vers ce chemin difficile, ces professeurs qui ont éclairé de leur modeste contribution ces moments sombres où l’on se sent tomber dans les sables mouvants de l’identité. Merci à elleux. Grâce à eux, je puis me lever, vivant.e, fort.e, plein.e et entièr.e. Ces anges gardiens m’ont aidé à devenir ce que je suis et que je ne soupçonnais pas être : FEM, FAG AND FABULOUS.
Aénor

 

Je ne garde pas un bon souvenir de mes années scolaires. Le harcèlement était quotidien, j’était ce môme bizarre, mal fringué, toujours avec une mesure de décalage des autres, plongé dans un établissement élitiste où la crème de la bourgeoisie locale envoyait ses enfants. Enfant d’ouvrier et de petite fonctionnaire, avec une santé mentale aléatoire, je n’étais pas à ma place dans cet environnement.
Et pourtant, c’est l’école qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Même si je n’étais pas dans une école républicaine au sens premier du terme, j’étais entouré par certains enseignants dont l’esprit et les ambitions pour leurs élèves correspondaient à cet idéal. La bienveillance était souvent de mise, et avec du recul, je me rends compte qu’il y avait un souci plus particulier des quelques enfants de prolos qui avaient atterri là.

J’y ai appris la tolérance, l’ouverture. J’y ai exercé mon esprit critique, j’ai bousculé les dogmes qui régissaient mon existence. J’y ai découvert, un peu par hasard, par un coup de foudre et des lectures au CDI, que l’évidence d’une femme et d’un homme pour former un couple ne l’était pas tant que ça.

Alors, à cette prof de religion qui mettait en avant, contre les consignes de la direction, d’autres croyances que le catholicisme ; à cette prof de latin qui m’encourageait à écrire des textes vraiment pas terribles, mais toujours avec le sourire ; à cette professeure de littérature qui m’a fait découvrir les auteurs homosexuels du XXe siècle ; à cette autre professeure de littérature, qui m’a poussée vers des études bien plus hautes que celles que je visais, en me disant que je pouvais toujours essayer ; à mon professeur de philosophie qui m’a fait me questionner sur moi-même : merci. Merci d’avoir fait l’homme que je suis maintenant.
Il y a beaucoup à redire, dans l’école d’aujourd’hui : la gestion du harcèlement, la quête pour une véritable égalité des chances, la pression à la réussite… Mais pour autant, si je suis actuellement un individu ouvert et bienveillant, dans le souci de l’autre (du moins j’aime à le penser), c’est notamment grâce à ces années d’école.

Et mention spéciale à ma professeure d’histoire géographie et éducation civique qui enlevait la croix dans sa salle de classe tous les matins, pour la voir raccrochée le lendemain sans exception.

Maxence

 

-« Mourir pour des idées »

Pourquoi ?
Pourquoi « mécanicienne » ce n’est pas un métier pour les filles ?
Pourquoi les femmes sont-elles souvent reléguées au second plan dans la littérature, dans l’Histoire ? Pourquoi les femmes n’ont pas eu le droit de vote en même temps que les hommes en France ?
C’est grâce à l’Ecole que je me suis forgée un esprit critique, que je me suis construite et où j’ai appris à déconstruire des préjugés, des clichés de tout genre. C’est aussi pour moi à travers de nombreuses lectures que j’ai faites grâce aux bibliothèques, et ce n’est pas un hasard si je suis devenue bibliothécaire.
Les connaissances acquises, ce n’est pas le plus important. Ce que je retiens surtout de ma scolarité, de mes études, c’est l’ouverture d’un espace à mes questions et questionnements qui ne s’est jamais refermé depuis. Je repense à ces discussions sans fin avec mes ami-e-s sur des sujets tantôt loufoques tantôt sérieux, à ces enseignant-e-s qui nous poussaient vers un ailleurs insoupçonné, au-delà de nos limites.
Tout n’a pas été rose ou idyllique, loin de là : pourquoi ce garçon en primaire s’est fait tabasser un jour dans la cour de récré et pourquoi personne n’a pris en compte mes alertes ? J’y ai souvent repensé ces dernières années car j’avais été choquée et j’étais en colère que personne ne s’interpose, adulte ou élève.

J’ai découvert à l’Ecole des cultures plurielles et des religions diverses. J’ai appris à m’interroger sur moi-même, à remettre en cause mes petites certitudes, les discussions contradictoires m’y ont aidée.

J’ai une pensée particulière pour mon institutrice de CM2, pour la prof d’allemand qui parvenait à nous captiver (fabuleux premier échange scolaire avec nos correspondant-e-s allemand-e-s à 13 ans!), pour ce prof de sport qui a dynamisé l’approche des sports collectifs avec une initiation au rugby mixte (ce n’était pas si courant « à l’époque »), pour cette prof de français qui nous a embarqué dans cette aventure pour jouer une pièce de théâtre alors que nous doutions de nous (le spectacle vivant, j’adore mais ce n’est pas simple de s’exposer quand on y joue ado!), pour ce prof d’histoire-géo qui rendait les cours amusants et vivants.
Merci à elles-eux !
Je n’ai pas trouvé de réponses à toutes les questions que je me posais et me pose, mais j’ai appris à les interroger encore et encore, et à confronter les points de vue, c’est l’essentiel.
Fabienne

 

En savoir plus sur la laïcité, la caricature, la liberté d’expression, l’éducation aux médias, la citoyenneté, l’esprit critique :

-Laïcité, caricature, liberté d’expression : des ressources accessibles en ligne

-La laïcité en questions

Documentaire : laïcité, 30 ans de fracture à gauche

Daumier et ses héritiers

-Hommage à Samuel Paty : comment l’éducation aux médias aide les jeunes à aiguiser leur esprit critique

Livre : décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque / Salomé Kintz

 

 

 


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