A Calais, littérature « Rouge Baiser » !

Depuis quelques années, certaines bibliothèques publiques en France proposent des étagères thématiques. Certaines bibliothèques, comme à Calais, offrent désormais des collections thématiques sur la New romance. Ces étagères participent à leur manière à la construction de soi des lecteurs et des lectrices en présentant les relations sentimentales et l’érotisme en littérature. Il est important dans ce contexte de présenter ces relations dans leur pluralité.

Nous avons proposé à Bénédicte Frocaut, directrice du réseau de lecture publique de Calais, de présenter sur le blog le fonds New romance qu’ils proposent.

Les relations sentimentales, l’érotisme occupent une place importante dans la littérature. Depuis quelques années le phénomène New romance a pris de l’essor et rencontre un franc succès auprès de nos publics. Les sagas de ce type sont très empruntées, sur-réservées et nous avons pu observer qu’une communauté de lecteurs s’est créée autour de ces livres, certains lecteurs ne fréquentant la médiathèque que pour ces ouvrages.

Et pourtant, ce pan de la littérature n’avait jamais été intégré à notre politique documentaire, ces livres étaient littéralement achetés « sous le manteau » , « à l’insu de la direction » ; leur valorisation totalement inexistante, signe de difficultés à assumer ce type de littérature, pouvant même laisser croire qu’il s’agit là d’un genre médiocre, tabou, ne méritant pas l’attention, voire le respect. En l’examinant de plus près, c’était bien de cela qu’il s’agissait : cette littérature n’était pas considérée comme légitime, comme digne d’être traitée , comme ayant une place dans nos rayonnages.
Il était temps d’y remédier.

Début 2015, une réflexion sur l’offre et la valorisation de ces collections a été entamée afin de défendre et d’assumer la place de ces titres dans nos rayonnages. Premiers pas : dédier un budget à ces titres, les considérer comme un segment de la collection et comme pour les autres, se former, s’éduquer et surtout s’intéresser à tout le spectre y compris la littérature gay, lesbienne. Lire de la guimauve dégoulinante qui fait du bien, rêver en lisant une histoire d’amour qui finit bien (ou mal), intéresse tout le monde. Même principe pour la littérature clairement érotique mais aussi sexuelle. Position de principe, loin d’être aisée à mettre en œuvre tant les résistances étaient grandes alors même que certains collègues sont les premiers à lire After, Driven, Dévoile-moi… Et nous achoppions toujours sur la littérature homosexuelle.

A l’été 2016, timidement, la New Romance, la littérature érotique ont été mises en avant à la médiathèque de plage, la saison estivale nous semblant propice à ce type de lecture. Les nombreux retours d’usagers, surpris et heureux de cette initiative, l’absence de récrimination ont achevé de nous convaincre d’aller plus loin dans la proposition ; il était temps de dépoussiérer l’image de la bibliothèque, de défendre haut et clair une animation complète autour de la littérature sensuelle, érotique, de parler de sexe aussi. Janvier 2016, deux collègues sont allées à la journée d’étude organisée par Médiadix « Pour adultes avertis » ; elles sont revenues enchantées, conquises, convaincues. Il ne nous restait plus qu’à passer à l’acte !

rouge baiser
Affiche de l’exposition Le Baiser au musée des Beaux-arts de Calais

Profitant en 2017, de l’exposition Le Baiser, de Rodin à nos jours présentée par le Musée des Beaux-Arts de Calais, la médiathèque a valorisé les fonds amoureux, érotiques… au travers d’une animation Le Baiser dans la littérature.

D’avril à septembre, des mots doux, des mots tendres, des mots brûlants… ont résonné (et raisonné !) au cœur de la médiathèque. Ont été présentés tous les livres qui, quelle que soit leur nature « mettent du rose, voire du rouge aux joues». C’est tout le spectre de la littérature érotique que nous avons mis en avant, des classiques, aux contemporains, des plus sages, aux plus aventureux.
Notre volonté fut d’aborder ce genre comme n’importe quel autre (science-fiction, polar, fantasy…), signifiant ainsi sa légitimité dans les collections. Bien en évidence au centre de l’espace adulte, estampillé amour, désir et sensualité, paré de paillettes et petits cœurs, trônait un présentoir où étaient exposés les documents relatifs à cette animation. Il y en avait pour tous.

Il est évident que certains lecteurs ne sont pas intéressés par les textes les plus crus; afin que chacun sache à quoi s’attendre, les livres contentant des scènes explicites sont signalés comme tels avec la mention « Public adulte et averti », rien d’illégal ou de répréhensible dans les textes mis à disposition mais chacun doit pouvoir être clairement informé de la nature des documents présentés. Il peut donc faire son choix librement, découvrir ou non, s’aventurer ou pas.

Pour accompagner nos lecteurs dans ce voyage, nous avons mis en place différents dispositifs :
• Une bibliographie, mêlant chroniques et notices signalétiques, a été élaborée et distribuée largement. Cette bibliographie s’intéresse à tous les styles.
• Des rencontres d’auteurs d’univers et de sensibilités différentes ont été proposées : Belinda Canonne est venue nous parler de l’écriture du désir. Octavie Delvaux, éditée à la Musardine, nous a expliqué son cheminement, son souhait d’écrire pour des femmes, de mettre en scène des femmes libres, indépendantes qui ont le choix car elle ne se reconnaissait pas, elle ne vibrait pas à la lecture de textes écrits par des hommes, pour des hommes.
• Une soirée Contes Coquins et Libertins (pour l’occasion de confortables transats étaient mis à disposition) par la conteuse Cindy Snessens a permis de redécouvrir des textes anciens, d’autres récents, tous ayant pour point commun le désir.
• Un atelier d’écriture mené par l’auteure Amandine Dhée , basé sur l’exposition du musée des Beaux Arts a permis à un groupe de femmes de s’autoriser du temps pour elle, de s’autoriser à écrire, à parcourir. L’atelier était ouvert à tous, seules des femmes de milieux très différents sont venues.

• La projection du film Ces baisers-là, en présence de son réalisateur Daniel Schick, mais aussi, tous les mardis, à la médiathèque, des films avec des scènes de baisers inoubliables, tout type de baisers, toute histoire d’amour.

Après 6 mois à creuser le sujet, le bilan est positif : aucune plainte d’usager, des lecteurs heureux de pouvoir emprunter ces livres, une collection plus riche et plus variée. Collection qui sera bientôt classée à part, au même titre que les romans policiers, la SF.
Néanmoins, tout n’est pas encore acquis : alors que les chroniques sont depuis 2014 systématiquement signées par les bibliothécaires de leurs nom et prénom, la bibliographie Le Baiser n’en a aucune, les bibliothécaires ont « oublié » pour cette bibliographie de le faire, leurs nom et prénom sont indiqués en début de bibliographie… Devant la réticence, j’ai préféré ne pas insister. Au niveau des films quelques difficultés, notamment un débat assez houleux par rapport au film Quand on a 17 ans, film qui raconte une histoire d’amour entre deux jeunes garçons. Des mots malheureux ont été prononcés, certains agents étant mal à l’aise car cela les heurtait qu’on puisse montrer une scène d’amour entre deux jeunes hommes ; scène qui ne les aurait pas gênés dans un rapport « normal, hétérosexuel ». Il a fallu faire preuve à la fois de pédagogie et d’autorité.

Entre art plastique et art littéraire, c’est un voyage de découvertes que nous avons offert à nos lecteurs, voyage source de moments exquis et séduisants.

Bénédicte Frocaut, directrice du réseau de lecture publique de Calais

Pour en savoir plus, retrouvez la bibliographie Rouge Baiser en PDF

 


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