Retours sur l’ALMS LGBTQ : Archives, bibliothèques, Musées et collections spéciales LGBTQ+ [1/2]

par Renaud Chantraine . R. Chantraine débute une thèse en ethnologie à l’Ehess après des études de muséologie à l’école du Louvre. Ses recherches portent sur les questions de sexualité et de genre dans le domaine des musées et du patrimoine.

Pour celles et ceux qui s’intéressent de près aux questions relatives à l’histoire et aux mémoires, aux archives ou plus globalement au patrimoine[1] des minorités sexuelles et de genre, le congrès qui s’est déroulé à Londres du 22 au 24 juin 2016 a été un moment majeur. Son sigle un peu barbare, ALMS LGBTQ+ (traduit par « Archives, bibliothèques, Musées et collections spéciales lesbiennes, gais, bisexuels, trans, queer et + ») reflète d’emblée la grande diversité de communautés ou d’individu.e.s, de professions ou d’activités, de discours et d’enjeux rassemblés dans le cadre de cet événement.

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Tandis que les trois premières éditions (2006, 2008 et 2011) étaient circonscrites au continent nord-américain, c’est Amsterdam, et plus précisément l’IHLIA[2], qui reçut la précédente ALMS, du 1er au 3 août 2012, marquant ainsi le point de départ et la consécration de l’internationalisation du rendez-vous. La plaquette de présentation, titrée « The Futures of LGBTI Histories », proclamait en introduction une ambitieuse vision de l’avenir :

« By 2020 LGBTI kids will be able to visit a library and find people like them in the archives. They can find out about their history, their heroes, the struggle for their rights. We want to show them how our predecessors lobbied and lived and loved to create a world in which we all are part of the story. This diverse community will be recognized as a part of society. »

Comment collecter et archiver les mémoires LGBTI ? Comment en promouvoir la visibilité et l’accessibilité ? Comment investir et coopérer avec les organisations mainstream ? Et comment, enfin, s’associer pour mettre en œuvre cette vision commune du futur ?

La quarantaine de communications réunissait des invité.e.s venu.e.s principalement du monde anglo-américain, mais aussi d’Afrique du Sud, de France, de Belgique, de Turquie ou encore de Pologne. De la collection privée (par ex : l’Académie Gay et Lesbienne à Vitry-sur-Seine) [3], au musée national (British Museum), en passant par la bibliothèque universitaire (Pride Library, Canada) ou au centre d’Archives communautaires plus ou moins institutionnalisé (ONE National Gay & Lesbian Archives, USA), l’ALMS 2012 a sans doute été tout autant un premier inventaire que la révélation européenne d’un fort dynamisme associatif et institutionnel autour de la transmission du passé LGBTI. Je n’en dirai pas plus sur ce précédent[4], si ce n’est qu’il me semble important de mentionner que relativement peu d’artistes et d’universitaires étaient présent.e.s ; ce point est important, j’y reviendrai.

Quatre ans plus tard, l’ALMS a eu lieu à Londres, organisée par les Archives métropolitaines de la ville en partenariat avec le Queer London Research Forum de l’Université de Westminster et le Bishopsgate Institute. Chacune de ces organisations ayant accueilli une des journées de la conférence, je présenterai leurs spécificités au fil du texte.

Le titre de la conférence de Londres, « Without Borders », renvoyait, si ce n’est au désir d’en finir avec les frontières[5], tout du moins à l’hypothèse d’un héritage LGBTQ partagé, dans un contexte émergeant de la globalisation de nos communautés et de certaines de leurs stratégies militantes. L’annonce du colloque signalait la volonté de générer un dialogue entre les domaines interdépendants de la recherche historique et de la collecte, et invitait les participant.e.s à partager leurs expériences, idées et bonnes pratiques. Une attention particulière était apportée à l’exploration des marges, des barrières, des frontières et des intersections, passées et présentes. L’appel à communication encourageait dans cette logique les interventions portant sur les Black Minority Ethnic (BME) et les Queer People Of Colour (QPOC), les communautés trans et les projets extérieurs au Royaume-Uni et aux USA.

Ce sont plus de 120 personnes (pour ne compter que les intervenant.e.s) qui ont répondu à l’appel, donnant lieu à l’une des plus grosses manifestations jamais organisée sur la question de l’héritage des minorités sexuelles et de genre. Leurs points de vue croisés d’universitaires, d’artistes, d’activistes et/ou de professionnel.le.s travaillant aussi bien en institutions publiques qu’au sein des communautés, ont donné une image incroyablement riche et complexe d’un domaine en pleine effervescence.

Comment ces marges culturelles et sociales s’y prennent-elles pour recueillir et organiser les traces de leurs passés pour les transmettre aux générations présentes et futures ? Quels rôles les artistes ont-ils/elles à jouer dans ces processus ? De quoi queering est-il le nom ?

Il serait impossible de retracer dans un texte court la très grande variété des interventions[6] qui se sont succédé, parfois en se superposant, durant ces trois jours. J’ai néanmoins choisi d’organiser mon propos de manière chronologique, à la fois pour restituer le tempo voulu par les organisateurs/rices, mais aussi pour présenter en quelques mots les trois lieux prestigieux et engagés qui ont accueilli l’événement. J’insisterai, assez subjectivement, sur certains moments vécus comme les plus intenses. Afin de corriger l’impression de survol que ce type d’exercice donne nécessairement, j’ai aussi souhaité m’arrêter plus longuement sur trois projets, que je présenterai sous forme de focus. Pour rester dans le format du blog qui accueille ce texte, il sera publié en trois fois, chaque billet présentant une journée et un focus.

DAY I – BISHOPSGATE INSTITUTE

La première journée de l’ALMS s’est déroulée dans la majestueuse salle de bal du Bishopsgate Institute, établissement d’éducation populaire et bibliothèque indépendante dont les collections spéciales s’articulent autour de l’histoire de Londres, du travail, de la libre pensée (free thought), ainsi que des mouvements sociaux et protestataires. Depuis 2011, l’institution s’intéresse également à la communauté LGBTQ+ : elle acquiert alors le fonds de la Lesbian and Gay Newsmedia Archive (LAGNA), composé de plus de 350 000 titres de la presse « hétérosexuelle » documentant l’histoire queer[7] de 1900 jusqu’à nos jours. A compter de cette date, d’autres donations de matériaux LGBTQ+, provenant aussi bien d’organisations (comme les archives de Stonewall et d’Outrage, deux importantes associations britanniques de revendication des droits LGBT) que de particuliers, célèbres ou non, sont venus enrichir la collection de l’Institut.

alms2A la fin de la première journée, Stefan Dickers, archiviste et conservateur, nous a accueilli.e.s au Salon de lecture pour nous présenter quelques exemplaires emblématiques de sa collection : des journaux, quelques badges et t-shirts, des livres et des flyers et surtout sa pièce fétiche: un costume de magicien porté par l’activiste Martin Corbett[8] lors de sa canonisation par les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Avant de nous quitter, le conservateur nous a fortement incités à venir déposer tout objet intéressant, qu’il s’agisse de journaux, de lettres, de carnets ou de photos, qui seront acceptés et conservés[9] dans les meilleures conditions, et qui pourront permettre aux futures générations de connaître la vie LGBTQ des années 2000.

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Venons en maintenant au programme de cette première journée. Celle-ci s’est ouverte par le discours introductif de Jan Pimblett, Principal Development Officer aux Archives Métropolitaines de Londres et coordinatrice de l’ALMS 2016. Accueillant les participant.e.s, elle nous a rappelé, dans le contexte post-Orlando, que la violence et la haine existent toujours, et que la résistance et l’activisme sont aujourd’hui plus que jamais des nécessités. S’en est suivie une série de tables rondes (sur les sources, la classification, l’accès et l’interprétation)

S’agissant des sources, la première volée de présentations a donné un stimulant aperçu de l’étendue des possibles. De l’énigme de la collection de vêtements qui ne correspondent pas à la taille de la célèbre artiste anglaise Gluck conservée au Brighton Museum (Martin Pel), au paquet scellé de lettres découvert par la photographe Sara Davidmann et révélant l’existence dans sa famille d’un oncle transgenre, en passant par l’expérience de travail sur des images érotiques dans l’Archive privée de Mario Prizek (Daniel Laurin), l’écart est grand. Celui-ci concerne aussi bien en termes de types de collections, que d’investissement affectif, ou de manières de se saisir de cette question des traces. Concluant cette première session, la politicienne canadienne Helen Kennedy, après avoir rappelé l’importance des archives à la fois pour les activistes d’aujourd’hui et pour les universitaires enseignant les études de genre et de sexualité, lançait un appel à une meilleure collaboration entre ces différents métiers : « It’s time for activists, archivists and academics to work together ! »

A peine le temps de boire une tasse de thé et d’engouffrer un muffin aux cranberries que déjà l’historien du costume E-J Scott entamait le récit d’un projet fascinant de mobilisation patrimoniale, queer et performative….

FOCUS DUCKIE : Researching, Re-imagining and Re-enacting Lady Malcolm’s Servants’ Ball 1923-1938 (E-J Scott)

Lady Malcolm’s Servants’ Ball est le premier focus sur lequel je souhaite m’arrêter dans cet article. Une fête étrange et excitante – et bien plus que ça – célébrée les 24 et 25 juin au même Bishopsgate Institute. On la doit au collectif Duckie[10], activistes culturels qui se présentent comme « London’s queer purveyors of progressive working class entertainment ». Troisième volet d’un cycle de Clubbing Vintage, cette soirée visait à faire revivre l’une des plus emblématiques cérémonies de la scène/vie queer londonienne des années 20 et 30. Bien entendu cette histoire cachée a entre-temps largement été oubliée. C’est donc en commençant par réunir une poignée d’herstorians[11], épaulées de dénicheur.euse.s d’archives que l’équipe s’y est pris.

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=fSlt62QKx_c&w=560&h=315]

Leurs recherches (fichiers de police, articles de presse, photos) sur cette facette méconnue de l’entre-deux-guerres, effectuées notamment aux Archives Nationales du Royaume Uni, leur ont permis de retracer à la fois quelques-unes des vies secrètes des queer de l’époque, et les interactions contemporaines entre genre, classe, autorité et modernité. Entre 1923 et 1938, le bal organisé par Lady Malcolm (1881 – 1964) était l’unique moment de l’année où des milliers de domestiques, issu.e.s des quatre coins du monde et travaillant dans les plus grandes demeures londoniennes pouvaient se rassembler pour passer ensemble une nuit à danser, boire et se rencontrer… Peut-on se rendre compte de l’immense valeur sociale et affective de ces quelques heures de liberté pour ces personnes n’ayant bien souvent ni ami.e, ni possibilité d’exprimer quoi que ce soit en dehors de leur travail domestique ? Le Daily Mirror du 13 novembre 1936 félicitait d’ailleurs l’hôtesse d’« avoir pris conscience que les maîtres.ses de maison ont un devoir envers leurs domestiques, tout comme les domestiques ont un devoir envers leurs maîtres.ses. » Il va sans dire que ses invité.e.s, issu.e.s des classes ouvrières pauvres n’avaient pas les moyens de venir habillé.e.s en costume ou en robe de soirée, Lady Malcom a donc décidé d’instaurer un dress code basé sur la fantaisie. Nombreuses dès lors furent les tenues fabriquées à la main qui commentaient leurs conditions de travail : se déguisant en produit d’entretien, en réveille-matin ou, inversant les rôles, en caricatures d’aristocrates. D’autres choisirent de se servir de cette opportunité annuelle pour se travestir et/ou jouer avec leur identité de genre, profitant aussi de l’occasion pour tenter d’établir quelques contacts physiques avec des congénères de même sexe. Et c’est précisément là que les choses se compliquèrent…

Suite à une série de plaintes et de rapport de police attestant la présence au bal d’un « certain nombre de personnes indésirables, d’homo-sexualistes et d’hommes du type pervers (men of the perverted type), un « comité de scrutateurs » fut mis en place pour contrôler l’entrée tandis qu’était inscrit sur les tickets à partir de 1935, la consigne « No man dressed as a woman… will be permitted to remain ». Mais en dépit des efforts déployés par ces mesures de police du genre, les autorités ne parvinrent ni à laisser dehors les queer, ni à contenir leur visibilité : l’effet fut plutôt de stimuler leurs imaginations.

Presque un siècle plus tard, DUCKIE propose de reprendre la danse pour rendre hommage aux queers des classes ouvrières, celles et ceux qui osèrent transgresser les normes de genre pour se retrouver les uns les autres à l’une des plus brillantes salles de bal londonienne. En renouant avec la documentation subsistante et les vestiges entourant le Lady Malcolm’s Servants’ Balls, en partageant les traces de l’existence de ces travailleurs queer des années 20 et 30 avec les Londoniens d’aujourd’hui, DUCKIE aspire aussi à réimaginer leurs histoires d’amour, leurs désirs et les relations qu’entretenaient ces chauffeurs et ces majordomes, ces cuisinières et ces femmes de chambres. Leur dur labeur quotidien était sans nul doute habité par les rêves de cette seule nuit de l’année où ils pourraient danser en costume avec leurs « belles » et « beaux » (en français dans le texte).

La matinée s’est terminée sur un extrait de la pièce Queer Portrait of a Workhouse de la performeuse londonienne Bird la Bird. Très justement, cette dernière faisait remarquer à l’auditoire que l’artiste pouvait se permettre des choses que l’historien.ne ne pouvait pas. « They can throw glitter on elephant in the room » : sans traduire littéralement[12], il est ici question de liberté d’approche et de souplesse d’interprétation. Dans la même veine qu’E-J Scott, et faisant elle aussi partie du collectif Duckie, sa lecture performée explorait l’histoire de la St Martin’s Workhouse, sorte d’asile où travaillaient les plus pauvres au XVIIIème et au XIXème siècles. Dans ces lieux misérables, sur lesquels fut construite par la suite la National Portrait Gallery sans qu’aucune plaque n’y fasse référence, la séparation entre hommes et femmes était stricte, et toute personne ne correspondant pas aux normes de genre humiliée. Ce cadre hétéro-normatif a néanmoins laissé dans les Archives des traces de scandales, de rébellions, et de résistances, qui émaillent son récit. Toute histoire a un angle queer.SONY DSC

Je serai beaucoup plus bref pour rendre compte des trois tables rondes qui ont occupé l’après-midi. La première, assez technique, concernait la classification. L’autrichienne Margit Hauser a d’abord présenté META, un catalogue bibliographique en ligne proposé aux Archives lesbiennes et féministes de petite taille pour rendre leurs collections visibles sur une base de données transnationale. Les limites des terminologies existantes et des systèmes de taxonomie en vigueur ont ensuite été abordées selon divers axes de réflexion par Rebekah Taylor, Gregory Toth et Walter « Cat » Walker.

La transition avec la table ronde sur l’accessibilité a été faite par Elizabeth Chapman, autour de sa thèse sur les bibliothèques publiques anglaises et leurs difficultés à s’approvisionner en littérature de fiction LGBTQ pour les enfants et la jeunesse. L’américain Joseph R. Hawkins, a ensuite présenté quelques-uns des programmes de ONE, l’institution qu’il dirige et qui se revendique, avec plus de 3 millions de documents, comme le plus gros centre d’Archives LGBTQ du monde. Le binôme de jeunes activistes Onyeka Igwe & JD Stokely a terminé la session en montrant comment certain.e.s artistes QTPOC (Queer Trans People Of Color) pratiquent l’auto-ethnographie pour négocier avec l’absence, produire des traces, explorer les histoires familiales et lutter contre la marginalisation qui les concerne, y compris au sein des Archives : « Sometimes you need to create your own history. »

Je terminerai sur cette première journée en évoquant deux des projets de la dernière session sur l’interprétation : Blushing Pavilion et la très belle performance en musique de Rommi Smith.

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Blushing Pavilion est une idée du studio d’architecture Sam Causer et du collectif d’artistes et curateurs Vividero. Tout part d’une recherche sur le rôle du paysage et de l’architecture balnéaire de la côte du sud-est de l’Angleterre, une région sévèrement touchée par la crise. Rapidement font surface les problématiques du corps, du genre et de la sexualité. Cherchant un lieu pour amarrer leurs expérimentations, le collectif se fixe sur l’abri côtier de Palm Bay près de Cliftonville, construit dans les années 1920 dans un contexte de prospérité industrielle, économique et touristique. Son architecture Art Déco en faisait déjà un lieu chargé, renvoyant à la fois à un « ailleurs » non européen (difficilement détachable du passé colonial de l’empire britannique) et aux plaisirs et exubérances des fêtes nocturnes de cette époque. Ce type de bâtiment avait aussi comme fonction plus ou moins officielle de servir de havre de paix, propice aux rêveries et aux lâchers prises des corps détachés des codes comportementaux des centres urbains. Espaces de transition entre la ville et la mer, la civilisation et la nature sauvage, ils servaient aussi de lieux de dragues, propices aux rencontres plus ou moins furtives. Il se trouve d’ailleurs que le lieu est situé à quelques pas de la plage naturiste des alentours. Avec le déclin économique de la métropole la plus proche, Margate, dans la seconde moitié du XXème siècle, les touristes s’en allèrent et les lieux furent progressivement abandonnés et tombèrent en ruine. Leur valeur patrimoniale n’ayant pas convaincu les autorités. Les problèmes sociaux complexes hérités de ces situations malheureusement classiques s’installèrent aussi.

Blushing Pavilion (« Le Pavillon rougissant ») consistait, de manière éphémère, à redonner une seconde vie à ces lieux de mémoires et de rencontres oubliées. Recherche en Archives locales, recueil de témoignages auprès des populations concernées, documentation et création d’œuvres d’art contemporain donnèrent lieu à une exposition. Celle-ci était accompagnée de la projection de Mort à Venise et de discussions et d’ateliers autour du rapport entre littoral, architecture et sexualité. L’ensemble valorisait la contribution de ce type de lieu à l’histoire culturelle, redonnant modestement une forme de confiance à leurs habitant.e.s. Une confiance basée sur l’échange et sur l’expérience collective et poétique d’un acte de résistance à la déliquescence et à l’oubli.

C’est ensuite et enfin vers d’autres rêves que nous a mené.e.s la jeune chercheuse et poète Rommi Smith. Le lyrisme de sa lecture-performance en forme de méditation, augmenté du blues cosmique de Jenni Molloy et Juliet Ellis, naviguait entre les thèmes de l’auteur.e cartographe et la performativité de l’archive en célébrant les histoires queer, cachées et singulières, des Jazz & Blues Women africaines-américaines.  Je précise qu’il s’agit de son sujet de thèse.

Encore sous le choc de sa prestation, nous nous sommes ensuite dirigés pour un verre de vin vers le très beau Salon boisé du Bishopsgate Institute, pour discuter de cette première journée et découvrir la collection LAGNA, dont j’ai parlé plus haut.

Notes

[1] Employer sans l’interroger le terme « patrimoine », pour parler des questions liées aux minorités sexuelles ou de genre, me semble problématique. D’abord parce que son étymologie latine renvoie à une logique patriarcale de transmission d’un ensemble de droits et de biens des pères aux fils. Ensuite, parce que l’histoire du concept est étroitement liée à celle du musée, et en particulier du Louvre (création révolutionnaire et universaliste). Dans ce cadre le patrimoine a bien souvent été l’objet de manipulations nationalistes et patriotiques de la culture. En France par exemple, et en dépit des récentes évolutions du droit international portées par l’Unesco, il est relativement rare qu’une « communauté » fasse l’objet d’une reconnaissance symbolique de sa culture (voir la polémique sur les langues régionales). Enfin, et pour revenir aux musées, en particulier « de société », il me semble que la muséification procède dans presque tous les cas d’un mode de gestion paternaliste : les objets collectés (y compris lorsqu’ils possèdent une forte charge émotionnelle) sont confisqués, séquestrés dans les réserves, inaccessibles aux non-initiés, et en particulier aux communautés dont ils sont issus. Si la récente montée en puissance du terme de « matrimoine », souvent explicité comme « l’héritage des mères », permet de restaurer rétroactivement une relative égalité des sexes au sein de l’histoire de l’art et des sciences, il me semble qu’elle fait l’impasse d’une approche plus critique que j’ai tenté d’expliciter plus haut. Le terme anglais d’« heritage » me semble plus neutre et fait d’ailleurs l’objet d’un certain nombre de déconstructions radicales, notamment au sein des « Critical Heritage Studies. » Il me semble que l’ALMS participe totalement de cette logique.

[2] En 1978, un groupe d’étudiant.e.s et de professeur.e.s de l’Université d’Amsterdam fonde Homodok, devenu International Homo/Lesbian Information center and Archive (IHLIA), centre d’Archives et de documentation visant à rassembler des matériaux qu’il leur était difficile voire impossible de trouver dans les bibliothèques publiques. Ceux-ci étaient pourtant indispensables pour appuyer la recherche du nouveau champ interdisciplinaire des études gaies et lesbiennes, dont l’Université d’Amsterdam est l’une des pionnières. L’IHLIA, aujourd’hui hébergée dans la grande bibliothèque publique d’Amsterdam se revendique comme le plus important centre d’Archives et de documentation LGBTQ en Europe.

[3] cf. http://www.archiveshomo.info/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=595

[4] Pour celles et ceux qui voudraient approfondir, le programme et plupart des interventions sont disponibles sur le précieux blog de la conférence : http://lgbtialms2012.blogspot.fr/.
L’ILHIA dispose également en DVD de l’intégralité des débats filmés, qu’il est possible de visionner sur place.
Voir aussi la contribution de l’Académie Gay et Lesbienne : http://www.archiveshomo.info/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=595

[5] Moment étonnamment paradoxal au regard de l’actualité alors immédiate du Brexit

[6] Le programme complet est disponible ici : http://lgbtqalms.co.uk/conference-programme/

[7] Les anglo-américains emploient souvent le terme queer comme synonyme de LGBTQ+.

[8] cf. http://rosecottage.me.uk/OutRage-archives/MCorbett.htm

[9] La consultation des documents est gratuite, sans rendez-vous et ouverte à tou.te.s, du lundi au vendredi de 10 heures à 17h30.

[10] Le site du collectif : duckie.co.uk

[11] Les féministes de langue anglaise ont considéré à juste titre que le terme « history » (histoire) renvoyait de manière symbolique trop explicitement au possessif masculin « his ». Elles lui ont donc substitué le possessif féminin « her » pour former un nouveau mot : herstory.

[12] En essayant, cela pourrait ressembler à « ajouter une collerette à paillettes aux habits neufs de l’empereur » ; comprenne qui pourra.


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Commentaires

Une réponse à “Retours sur l’ALMS LGBTQ : Archives, bibliothèques, Musées et collections spéciales LGBTQ+ [1/2]”

  1. […] en 2016 à Londres, et avait fait l’objet de compte-rendus détaillés sur ce même blog (partie 1 et partie 2). Mais il demeure important en ce qu’il rassemble des professionnels et des […]

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