L’un de nos paradoxes

Les légothécaires que nous sommes avons évidemment été très choqués par les événements du vendredi 13 novembre 2015. Par courriel, entre légothécaires, le débat a duré jusqu’au lundi qui a suivi. Débat à partir de quelle problématique ? Continuer le programme du blog ou l’interrompre temporairement ou continuer ET signaler notre émotion ?

Cela représente selon moi l’un des paradoxes des bibliothèques : elles sont à la fois silencieuses et très bavardes.

Aucun son ne sort des rayonnages. Pourtant ouvrir un livre et en lire des fois même un seul mot engagera toute une conversation intérieure. Pourtant écouter la première note d’une pièce musicale réveillera un souvenir depuis longtemps endormi. Pourtant voir la première image d’un film convoquera dans notre esprit d’autres images, telle l’évocation des bibliothèques dans trois films visionnés récemment : Nos plus belles années, Will Hunting, 100% cachemire.

Dans le premier film, Nos plus belles années, l’un des principaux personnages est un grand lecteur. Il est par ailleurs solitaire et énigmatique. Pourtant, il tombe amoureux. Après de bons moments passés avec une femme, il fait tout pour l’éloigner. (Cela arrive aussi dans d’autres films.) Lors d’un échange verbal fougueux, elle s’insurge : « Mais avec les êtres ce n’est pas comme avec les livres : on n’est pas seul lorsqu’on veut tourner la page ! » Ce à quoi le lecteur solitaire répond : « Hé bien pour moi, si ! » Qu’a-t-il voulu dire par là ? Je vous invite à visionner le film. Vous verrez en même temps ce que la mère fera des livres de son fils. Vous y découvrirez par ailleurs comment une femme vit son engagement dans les Brigades rouges. (Des personnes prêtent à tuer pour leurs idées et croyances.)

Dans le second film, Will Hunting, le personnage principal est un génie en mathématiques. Il se forge une culture générale phénoménale grâce à une bibliothèque. Au point qu’il surpasse intellectuellement un étudiant de première ou seconde année de la prestigieuse université de Harvard, à Boston USA, en concluant que les 15 000 dollars qu’il investit « pour son cerveau » par an représente pour lui 1 dollar 50 de location de livres. Le parti pris est très sévère à l’égard de la prestigieuse université de Harvard mais élogieux à l’égard des bibliothèques qui permettent à ce jeune homme, orphelin et vivant d’emplois physiques, de s’immerger dans la culture et le savoir. Au point d’ailleurs qu’il parvient à plusieurs reprises à se défendre seul devant des juges qui ne parviennent plus à le gratifier d’une condamnation malgré ses méfaits. Autre point à noter dans ce film, le discours de son meilleur ami, avec qui il travaille « dans le bâtiment » et qui l’avertit ainsi : « Si moi, dans 50 ans, je suis encore là, que j’ai une vie comme celle-là, à boire des bières, aller au match avec mes enfants, ok, mais toi, tu as ce que nous tous on aimerait avoir et tu veux rester là !? Je ne te laisserais pas faire ça, pas ce gâchis-là. »

Enfin, dans le troisième et dernier film, 100% cachemire, nous arrivons à une image inappropriée des bibliothécaires. Au moment où les deux principaux protagonistes du film surprennent deux jeunes en plein ébat amoureux, elle, 100% cachemire-Valérie Lemercier, se souvient : « J’ai une amie à qui c’est arrivé, être dérangé à ce moment-là, hé bien maintenant elle est bibliothécaire au Canada et pèse 120 kilo ! » Le spectateur doit-il en conclure que le métier de bibliothécaire est une planque pour traumatisé sexuel qui se nourrit plus que nécessaire ? 100% cachemire-Valérie Lemercier a-t-elle lu Le sexe et l’effroi ou La nuit sexuelle de Pascal Quignard ? Ou encore Les manuels de l’oreiller et Le jardin parfumé, manuels d’érotologie japonais et arabe ?

Un manuel d’érotologie arabe ? Oui, oui.


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Commentaires

Une réponse à “L’un de nos paradoxes”

  1. […] L’un de nos paradoxes […]

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