Quand le ministère de la Culture se penche sur le genre

« Dragon Ball Z (…) c’est des hommes super puissants avec des supers pouvoirs (…) il y a peu de filles qui aiment Dragon Ball Z, c’est normal, c’est que du rapport de force et de combat tout le temps. » ; « Les garçons c’est pour les expériences, et les filles pour la découverte (…) souvent les filles, elles ont peur de s’électrocuter ou des trucs comme ça, et les garçons ils sont plus courageux.» 

Qu’il s’agisse de culture scientifique, de jeux vidéo, de romans ou de mangas, les pratiques culturelles sont bien perçues comme traversées par des questions de genre, comme en témoigne ces propos d’enfants et d’adolescent-e-s recueillis par différentes enquêtes et mis en exergue dans la récente étude du ministère de la Culture Questions de genre, questions de culture.

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Rédigé sous la direction de Sylvie Octobre, Questions de genre, questions de culture s’intéresse en effet aux liens entre loisirs culturels et questions de genre. L’étude montre comment les pratiques culturelles sont traversées par les stéréotypes de genre, mais aussi comment des interstices et des arrangements avec les normes de genre se font jour. Sylvie Octobre constate ainsi que « des mobilités se font jour, notamment lorsque les usages conversationnels [relevant traditionnellement de la norme du féminin] se répandent chez les garçons grâce aux technologies numériques ».

L’étude s’inscrit dans la continuité de productions récentes du ministère à propos des questions de genre : un 1er état des lieux sur l’égalité entre femmes et hommes du ministère de la Culture et de la Communication en 2013, et en 2014 la signature de la Charte Universcience pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine des sciences et des technologies, et une contribution au rapport du Commissariat général pour la stratégie et la prospective : Lutter contre les stéréotypes filles-garçons.

Entre l’introduction de Sylvie Octobre et la postface de Marie Buscato, synthétiques et bien référencées, les 4 chapitres du rapport présentent les résultats détaillés de différentes études. Sont ainsi abordées au prisme du genre la culture scientifique ; la réception des œuvres culturelles par les jeunes de 20 ans, l’étude croisée de la réception de la série télévisée La Baie des flamboyants, tournée dans les Antilles Françaises, la pratique traditionnelle du bélé et celle du slam ; et les pratiques musicales amateures à l’âge adulte.

Questions de genre, questions de culture fournira aux bibliothécaires souhaitant mettre en œuvre des actions autour du genre des éléments de réflexion et d’argumentaire.

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  1. L’illusion du loisir vu comme « Le lieu du choix électif libre » 

Ce que s’attache d’abord à montrer ce rapport, c’est l’illusion selon laquelle les pratiques culturelles seraient le lieu par excellence de l’exercice du libre choix.

Sylvie Octobre indique ainsi que « l’observation des profils sexués des différents publics ou pratiques ne dit rien si l’on ne se penche pas sur les modalités de construction de ces différences, c’est-à-dire sur les modes de socialisation à la culture dont la force consiste à transformer les contraintes sociales en évidences naturelles ou en choix individuels et libres par un processus variable selon les configurations sociales mais toujours très largement inconscient. » (p.17). Autrement dit : « Comment faire quand on est garçon pour faire de la danse classique sans voir sa virilité remise en cause ? Comment faire quand on est une fille pour jouer au football ou du trombone sans être supposée manquer de féminité ? » (p. 19).

  1. Pratiques culturelles et construction de soi : les productions culturelles comme « modes de lecture du monde »

Influencé-es dans le choix de nos pratiques culturelles par des « dispositifs de socialisation nombreux » (p. 126), nos pratiques culturelles participent elles-mêmes à la construction des normes de genre.

« C’est parce que l’ensemble des loisirs culturels contribue à la production symbolique des rapports de genre, parce que ceux-ci sont un mode privilégié de production, reproduction et transformation des rapports de genre, en amont et en aval des autres sphères du social, que nous nous y intéressons ici ». (p.14)  indique Sylvie Octobre. En effet, « les productions culturelles fournissent un réservoir d’images, de discours, comme autant de modèles identificatoires possibles ou de modes de lecture du monde : jeux vidéo, livres et presse, etc (…). Toutes ces pratiques de socialisation engendrent une contradiction entre des normes éducatives affirmant égalité, neutralité, autonomie et épanouissement et des pratiques qui en réalité réactivent l’assignation à un sexe. » (p. 17)

Ainsi, l’enquête menée sous la direction de Christine Détrez et Claire Piluso (Chapitre 1) montre comment l’invisibilité des femmes dans les expositions scientifiques contribue à conforter « la persistance des explications en terme de génétique, de naturalisation, d’essentialisation des compétences des unes et des autres », très présents dans les propos des adolescent-es interrogés à la Cité des sciences.

En effet, si « les stéréotypes et croyances coriaces prennent racine dès l’enfance, la culture scientifique telle qu’elle est diffusée contribue, d’une certaine façon, à la conforter, par l’invisibilité des femmes, non interrogée, non critiquée, non encadrée et donc naturalisée et normalisée. » (p. 48) Dans les expositions analysées, les métiers scientifiques se conjuguent en effet au masculin : « la plupart des femmes qui ont pourtant marqué l’histoire d’une discipline sont oubliées » et « les femmes représentées le sont dans des rôles minorés socialement : expertes en sciences humaines seulement, rôles et attitudes stéréotypées : situation hiérarchique inférieure (assistante, étudiante) quand les hommes sont maires et professeurs. » (p. 31)

  1. Les « différences culturelles de genre » comme « opérateurs d’inégalités »

Le chapitre 2 « Avoir 20 ans et faire avec le genre. Call of Duty et Desperate Housewives, métaphore de l’asymétrie” repose sur une enquête menée sous la direction d’Eric Macé et Sandrine Rui auprès de jeunes de 20 ans.

Les auteurs constatent la coexistence d’ « une utopie égalitaire –ils aspirent à être à la fois pareils et différents- et [d’]une claire conscience critique d’un devenir inégalitaire, en particulier chez les filles » (p. 56). Les jeunes interrogé-es font également part d’une « description très précise, souvent revendiquée, d’une véritable différence culturelle dans leur rapport au monde : les garçons se définissent par des projets et des épreuves – façon jeu vidéo– tandis que les filles se définissent par des relations et des introspections – façon série télé. Or c’est dans cette asymétrie du rapport au monde, masculin ou féminin- que les différences culturelles de genre deviennent des opérateurs d’inégalités. » (p. 57)

Sylvie Octobre relève ainsi en introduction que « 17% seulement des métiers sont mixtes (c’est-à-dire où la proportion d’hommes ou de femmes est comprise entre 40 et 60%) » (p.15), revenant sur les inégalités salariales entre femmes et hommes.

  1. Au-delà du genre, les pratiques culturelles au prisme de l’intersectionnalité

Au-delà des nombreux apports sur les croisements entre questions de genre et questions de culture, l’intérêt de cette étude réside aussi dans les éclairages sur d’autres déterminants sociaux. Marie Buscato souligne ainsi dans la postface que l’analyse en termes de genre « ne doit pas faire oublier les autres déterminants sociaux –âge, classe sociale, « race » ou culture par exemple. Seule une analyse informée par les dernières avancées des théories de l’intersectionalité enrichit notre compréhension du monde social ». (p. 127)

Le chapitre consacré à la culture scientifique montre que les filles mais aussi « les garçons de milieux populaires ne s’arrogent pas le domaine scientifique comme étant le leur » (p.39). Le chapitre 3 « Pratiques culturelles, productions des identités et questionnement des frontières de genre » s’interroge sur une possible conflictualité entre « question de couleur et rôles de genre mis en représentation » (p. 88).

Les références :
Questions de genre, questions de culture, sous la direction de Sylvie Octobre, Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), Ministère de la Culture et de la Communication, collection Questions de culture, 2014

152 pages, 12,00
ISBN : 978-2-11-128156-1

Viviane Albenga, Nathalie Almar, Marie Buscatto, Roger Cantacuzène, Christine Détrez, Reguina Hatzipetrou-Andronikou, Nadine Lefaucheur, Éric Macé, Catherine Marry, Claire Piluso, Ionela Roharik et Sandrine Rui ont contribué à cet ouvrage.

Pour lire l’introduction et la table des matières, vous pouvez vous reportez ici

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Commentaires

2 réponses à “Quand le ministère de la Culture se penche sur le genre”

  1. […] Quand le ministère de la Culture se penche sur le genre […]

  2. […] En France, l’approche genrée demeure l’apanage de la sociologie de la culture (comme en faisait état notre blog précédemment et comme le montre Mariangela […]

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