Sortir des stéréotypes sur la transidentité : l’exposition « Illes » à la cité de la santé

La série Illes est composée de 15 photographies en noir et blanc de Carine Parola. Elle a été exposée en 2012 à la Cité de la santé, espace de ressources consacré à la santé au sein de la Bibliothèque des sciences et de l’industrie à Paris.

« Illes est une série qui traite d’une ambiguïté, de l’écart qu’il peut y avoir entre le corps et l’esprit, mais aussi de la mise à l’écart d’individus par une société qui se définit par des normes et des codes (…). Ces portraits mettent en scène des personnes transgenres, enfermées dans un corps qu’elles n’ont pas choisi et qu’elles remodèlent à leur image au fil de leur transition » explique l’artiste.

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Illes – tous droits réservés
Une approche subtile sur un sujet soumis à de nombreux stéréotypes

Photographe-vidéaste, Carine Parola travaille sur l’image de soi et des autres, les normes et les stéréotypes. Avec Illes, elle interroge les identités de genre.

« Pour ce travail, j’ai effectué une série de portraits anthropométriques (…) Le rapprochement de la situation de ces modèles avec celle de prisonniers met à la fois en évidence un certain enfermement dans un corps qui ne reflète pas forcément le caractère ou l’esprit de la personne, mais aussi la mise en marge de l’individu par le reste de la société. »

Les photographies présentent avant tout des portraits, dont on ne saisit pas immédiatement qu’il s’agit de personnes transgenres. Nathalie Chaloub, qui coordonne l’action culturelle à la Cité de la santé explique ainsi que « les publics ne comprenaient souvent le sujet qu’à la fin de l’exposition. Ils étaient attirés par la qualité des photographies et ne comprenaient qu’ensuite qu’il s’agissait de la thématique de la transidentité ».

Normes corporelles et papiers d’identité : des questions qui dépassent la transidentité

Le film « Le retour au pays » réalisé par Carine Parola, projeté dans l’espace, proposait en complément des photographies des pistes d’interrogation. « Tel un « retour au pays », les trois protagonistes du film retrouvent leur véritable identité, celle qui a toujours été la leur malgré le conditionnement et le regard des autres. »

Là aussi, le sujet du film n’est pas tout de suite perceptible, il est question de carte d’identité, de papiers, on pourrait penser au début du film que ce sont des personnes immigrées sans-papiers qui s’expriment.

C’est toute la force de cet ensemble photographique et vidéo que de proposer un regard large sur un sujet souvent stigmatisé et objet de forts stéréotypes, en brassant des interrogations qui peuvent toutes et tous nous toucher à différents niveaux – les normes du corps qui au-delà des questions de transgenre concernent aussi les normes de « beauté », la grosseur ou la maigreur ; la question des papiers d’identité et des frontières …

Animations et partenariats autour du transgenre en bibliothèque

Peu mises en avant en bibliothèque, les questions de transgenre, de transidentité sont au cœur de l’exposition de Carine Parola.

Différentes animations ont été proposées dans le cadre de l’exposition Illes, en partenariat avec le Crips Ile-de-France, qui a pour objet d’appuyer et de relayer les actions de prévention et de lutte contre le VIH/sida ainsi qu’à des actions préventives visant un public plus large, notamment les jeunes, sur les comportements présentant des risques pour leur santé.

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Partenaire de la Cité de la santé depuis sa création en 2001, le Crips a proposé dans le cadre de l’exposition un atelier « Genres et stéréotypes » à des classes de lycées et des groupes de jeunes en insertion professionnelle.

Un stand d’information du Crips s’est aussi tenu pendant deux jours à l’entrée de la Bibliothèque des sciences et de l’industrie, afin de proposer de l’information, de la sensibilisation autour de ces thématiques.

Un atelier Photoshop a enfin été proposé les mercredis après-midi, en partenariat avec le Crips et l’espace numérique. Il s’agissait de faire travailler des groupes de jeunes à partir de photographies de personnes androgynes, à qui l’on pouvait ajouter des attributs féminins ou masculins. Une visite de l’exposition Illes était proposée à l’issue des ateliers.

Des présentations de l’exposition par la photographe-vidéaste ont également été organisées, à destination des personnels de la bibliothèque, des animateurs et animatrices du Crips, ainsi qu’à des classes de lycée.

Une bibliographie mise en valeur sur le site de la Cité de la santé et sur les postes informatiques présents dans l’espace proposait par ailleurs des ressources de la bibliothèque sur le sujet.

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Le transgenre exposée à la Cité de la « santé » : un positionnement problématique ?

Aborder la question de la transidentité dans un espace appelé « Cité de la santé » n’est pourtant pas sans soulever quelques interrogations. Ne serait-ce en effet pas stigmatisant de limiter la question du transgenre à celle de la santé ?

La thématique transgenre peut certes soulever des questions liés au médical via notamment la prise d’hormones qui peuvent accompagner la transition d’un genre à l’autre. La santé est une question importante pour les personnes transgenres mais finalement comme pour tout le monde, et ce n’est d’ailleurs pas l’aspect médical qui est traité dans l’exposition mais l’aspect social.

La question des « frontières » se pose régulièrement pour les actions proposées par la Cité de la santé, remarque Nathalie Chaloub. En effet, « le transgenre n’est pas une question de santé, mais touche à la sexualité. » « La question des frontières est récurrente à la Cité de la santé, car tous les thèmes traités sont finalement beaucoup plus vastes que le champ de la santé. » C’est d’ailleurs le parti pris de cet espace que d’intégrer les questions de santé dans un champ social beaucoup plus large.

« La question est la même pour le SIDA. Comment aborder le SIDA sans aborder la sexualité, l’affectivité, la psychologie ? La question se pose aussi pour les personnes handicapées ou les personnes âgées par exemple » explique Nathalie Chaloub. « On nous a un jour reproché de traiter du handicap à la Cité de la santé car cela donnait l’impression de réduire le handicap à la santé. Mais si nous ne le traitions pas à la Cité de la santé, le sujet ne serait traité nulle part ailleurs dans la bibliothèque. » Il faut en effet noter que la bibliothèque des sciences et de l’industrie est une bibliothèque spécialisée en sciences et techniques et ne possède donc pas de section de sciences humaines.

Proposer des pistes de réflexion sur la transidentité entre tout a fait dans les missions de la Cité de la santé et plus généralement de toute bibliothèque publique. En effet, comme nous le rappelons dans la rubrique « à propos » de Légothèque ,« accompagner l’expression des minorités doit permettre également de lutter contre les stéréotypes en favorisant des rencontres et, sinon créer des prises de consciences, du moins faciliter la prise en compte de la différence. L’enjeu devient de mettre en exergue les minorités afin de créer la surprise, de proposer tours et détours aux rencontres inattendues et d’encourager le dialogue. »


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Commentaires

2 réponses à “Sortir des stéréotypes sur la transidentité : l’exposition « Illes » à la cité de la santé”

  1. Avatar de IDnum (@IDnum)

    Effectivement, les photos de Carine Parola sont troublantes, jamais dérangeantes et questionnent notre perception de la normalité. A noter un ouvrage qui n’est pas dans la bibliographie proposée par la Cité de la Santé :

    ALESSANDRIN, Arnaud. La transidentité : des changements individuels au débat de société. Paris : L’Harmattan, 2011,157 p. 978-2-296-56637-8

    Il s’agit des actes d’une journée d’étude organisée par l’association bordelaise Mutatis Mutandis (dissoute il y a deux semaines…). Le livre contient des points de vue contrastés notamment sur la définition du genre, portés par les personnes concernées.

    (PS : dans l’article de Camille Hubert, le premier lien vers la Cité de la santé renvoie en fait vers un article du BBF sur l’ABF…)

    1. Avatar de Camille Hubert

      Merci beaucoup pour ce commentaire et ce complément bibliographique !
      En m’excusant pour l’erreur sur le lien vers la cité de la santé, c’est corrigé !

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