Les droits culturels

La médiathèque départementale du Territoire de Belfort, force d’action et de réflexion du Conseil général pour la lecture publique, était représentée à Belfort  lors de « forums ouverts » pilotés par Réseau culture 21 et l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’Homme de l’université de Fribourg (Suisse).  Pourquoi ces « forums ouverts » ? Quelle est la démarche de ce Conseil général ?

« Les politiques publiques, qu’elles soient européennes ou locales, sont confrontées à la crise économique et culturelle que nous traversons depuis 2008. Toute crise emporte une nécessité de changement et de passage. Il nous revient de comprendre ces contextes changeants, de suivre et d’accompagner les besoins sociaux pour apporter aux citoyens, en particulier ceux frappés par ces crises, les réponses les plus adéquates et les plus pertinentes.

L’un des enjeux est notamment de réinterroger nos politiques publiques afin de renforcer les ressources de chacun et permettre, au regard d’une approche résolument orientée vers une affirmation des droits de l’Homme, de mobiliser les capacités de tous les citoyens.

Le Conseil général du Territoire de Belfort s’est ainsi engagé avec trois autres départements (Ardèche, Gironde, Nord) dans le projet « 4D », fondé sur les droits culturels. » (1)

L’affirmation des droits de l’Homme, la mobilisation des capacités de tous les citoyens, ne font-ils pas route commune avec la construction et l’affirmation de soi en bibliothèque-médiathèque ? Pour s’en assurer, allons plus avant dans la découverte de ces droits.

« Les droits culturels forment encore un très large trou dans le filet de protection des droits de l’Homme. Les questions d’identité sont au plus intime du respect de la dignité humaine et du droit de chacun de participer à un ordre « tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet » (Déclaration universelle, art. 28). Elles sont au principe des questions de violence et de paix, de pauvreté et de richesse. La crainte, certes justifiée, du relativisme a largement empêché de considérer l’homme individuel, sujet de droit, dans ses milieux concrets. L’universalité est restée trop abstraite, alors qu’elle se concrétise dans le droit individuel à vivre singulièrement son humanité. On a pensé l’universalité comme si elle pouvait être au-delà des cultures, alors que ce sont les cultures qui doivent l’inventer, la développer, dans un dialogue de plus en plus exigeant. Ce ne sont pas des « cultures » qui dialoguent, comme si des blocs homogènes existaient, ce sont des femmes et des hommes porteurs et en quête de cette universalité qui ne se recueille que dans un partage exigeant de la richesse des œuvres et des expériences culturelles. » (2)

Par la richesse et la diversité de leurs fonds et de leurs actions, les bibliothèques-médiathèques sont-elles particulièrement à même de développer le droit individuel à vivre singulièrement son humanité, à créer de l’universalisme par un dialogue de diverses cultures ? Répondre par l’affirmative semble évident. Cependant, il est bon de saluer tous les établissements qui se consacrent à faire écho autant que possible à la singularité de chacun et au dialogue avec et entre leurs usagers. (Je me permets ici d’interroger franchement la pertinence d’équiper les médiathèques de « robots-retours » et de « robots-prêteurs ». Ne vaut-il pas mieux permettre aux agents au prêt et au retour de dialoguer avec les usagers ? Ou alors, le dialogue était rompu – et certains pensent que cela est définitif – au point que les agents… devinrent robots ? Sont-ce les plaintes des agents ou les « opportunités » technologiques qui mènent des bibliothèques-médiathèques à remplacer les êtres humains par des machines, comme jadis nos ancêtres ont procédé dans les champs puis les ateliers ?)

Enfin, voici me semble-t-il un véritable manifeste pour la culture, où justement ce mot ne contient plus dans le panier qu’il est : les lettres, la peinture, la sculpture, la musique, etc. Autant de pratiques artistiques que nous ferions mieux de nommer précisément à chaque fois qu’elles sont désignées, plutôt que de parler de culture, mot-valise bien plein, trop plein.

« (…) On a largement ignoré l’importance des droits culturels pour le respect de la dignité humaine, le développement des personnes et des communautés. On a considéré la culture comme un dernier palier, moins important que les besoins, jugés fondamentaux.
Étonnante cécité quand on sait qu’il faut des savoirs pour cultiver la terre, pour habiter son environnement de façon équilibrée, pour soigner et se soigner, nourrir et se nourrir, pour exercer un métier utile à la société et épanouissant pour soi-même et les siens, pour décider pour soi et participer à la vie collective et, enfin, pour transmettre les valeurs les mieux adaptées à ses enfants.
Le domaine culturel vaut pour lui-même et pour les autres.
Au même titre que les autres droits humains en effet, les droits culturels sont les fins et les moyens du développement. » (3)

VillandryPotager
Potager de Villandry, par Manfred Heyde, CC-BY-SA-3.0, via Wikimedia Commons

Un autre aurait dit : « la fin est dans les moyens ». Et, de fait, que la culture de chacun, que la somme de toutes ces cultures forment le quotidien commun à tous. Je le redis : culture au sens de cultiver, habiter, soigner et se soigner, etc. Culture au sens de savoirs fondamentaux, structurels, mais non figés, car ils peuvent moduler au fil des rencontres, des expériences, des apprentissages de chacun.

Et les médiathèques sont un excellent vecteur d’apprentissage, d’un apprentissage qui part du  théorique, du démonstratif, de l’argumentatif et même de l’imaginaire, certes, mais qui peut aboutir à des changements progressifs et de grandes ampleurs.

Gérald Loye

PS : J’ai souhaité illustrer ce billet d’une photo d’une femme aux champs. Bêtement, j’ai écrit « femme aux champs » dans l’espace de recherche Google. Puis dans l’onglet image, j’ai regardé des résultats. Je n’ai vu aucune femme européenne. Alors, j’ai écrit « femme européenne aux champs ». Et alors là je vous invite à faire l’expérience vous-même. Google est loin d’être riche et représentatif de la biodiversité, d’ailleurs très loin derrière les grandes bibliothèques.

(1) Extrait d’un courrier signé par le Président du CG90, Monsieur Ackermann, et suivi par Jean-Damien Colin, directeur des affaires culturelles.

(2) Extrait d’un document intitulé Droit de participer à la vie culturelle (E/C.12/40/8. 9 mai 2008), présenté au Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans la journée de débat général consacré à l’article 15.

(3) Extrait de l’article « Rio+20 et la dimension culturelle de la durabilité », de Jordi Pascual et Patrice Meyer-Bisch, paru dans « Culture et développement durable », supplément de Mouvement n°64.

Les extraits (2) et (3) ont été simplement repris du site de Réseau Culture 21

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