Le mélange des genres, la qualité en plus
Il y a peu, on parlait sur ce blog du poster scientifique réalisé par des bibliothécaires en formation initiale sur l’inclusion en bibliothèque. Le festival “Libres Regards”, qui se déroulera du 2 au 7 mai à Belfort, nous donne un exemple d’inclusion des bibliothèques dans une entreprise de sensibilisation aux questions de genre et de l’homosexualité.
“Libres regards” est un festival transgenre dans tous les sens du terme, à savoir que la réflexion sur la construction des genres masculin /féminin s’articule autour d’une entreprise qui valorise tous les genres artistiques : le programme du festival le montre bien, qui affecte à chaque événement un code couleur selon qu’il s’agit d’une exposition, d’une projection au cinéma, d’une rencontre, de musique ou bien encore d’une pièce de théâtre. La qualité artistique des manifestations est la priorité absolue des organisateurs du festival, ce qui suppose un travail collaboratif très étroit avec les structures culturelles du pays de Belfort.
L’inclusion de la bibliothèque, un enjeu qui va de soi?
Quelle place pour les bibliothèques dans un festival de cette envergure? Ophélie Thiébaut, co-organisatrice du festival, insiste sur le caractère à la fois naturel et spécifique du partenariat qu’elle a monté entre “Libres regards” et la bibliothèque des 4 As à Belfort. Naturel, car la bibliothèque s’est imposée comme partenaire allant de soi dans le paysage culturel belfortain. Spécifique, car les modalités de ce partenariat diffèrent sensiblement de celles mises en place avec les autres structures.
Lancé pour la première fois en 2010 sur la base d’un budget de 0 euros, “Libres Regards” a grossi au fil des années grâce à une série de partenariats efficaces. En effet, les événements montés dans le cadre du festival s’intègrent en temps normal à la programmation des établissements dans lesquels ils se déroulent, et qui prennent donc en charge une grande partie du financement, les organisateurs du festival assurant la partie “communication” ainsi que quelques extras. Les établissements partenaires sont donc force de proposition en ce qui concerne les événements qu’ils souhaitent accueillir.
Le partenariat avec la bibliothèque des 4 As a vu le jour en 2012, lors de la troisième édition du festival, et s’est construit sur des bases tout autres : à l’inverse de ce qui se passe habituellement, la bibliothèque reçoit des artistes déjà programmés, et son aide consiste dès lors plus en du prêt de salle, en une assistance technique, un buffet etc, pour une participation financière qui reste minime. A l’horizon 2014, Ophélie Thiebaut espère travailler encore plus en amont avec la bibliothèque afin de l’inclure dès la phase préparatoire. Évidemment, cela supposerait sans doute de revoir les termes financiers du partenariat, mais il y a là sans doute une occasion à saisir pour les bibliothécaires, qui se sont montrés plus qu’enthousiastes dans leurs retours : le festival constitue en effet pour eux une occasion supplémentaire de faire partager ce qu’ils aiment, et pour la bibliothèque une occasion supplémentaire de communiquer sur son action culturelle.
En 2012 la bibliothèque des 4 As organisait une table ronde avec Blan et Galou autour du thème « Illustrations humoristiques, messages politiques« . Le samedi 4 mai 2013 à 14h30, elle accueillera David Dumortier pour une rencontre-lecture-dédicace autour de son livre Travesti (2012, éditions La Dilettante) : intervenant déjà auprès des élèves des collèges et lycées pour des ateliers d’écriture, David Dumortier ouvrira ainsi sa participation au grand public, sur une thématique et dans un cadre plus adultes, et la bibliothèque était l’endroit idéal où opérer cette ouverture.
Le même jour mais à 16 heures, la bibliothèque des 4 As accueillera également une rencontre-dédicace avec la photographe Zabou Carrière et la journaliste Taina Tervonen venues présenter leur exposition “Fils de”, sur de jeunes adultes élevés par des couples homoparentaux. Au départ, les deux artistes devaient intervenir au théâtre du Pilier, mais l’accueil de leur exposition est rapidement apparu indispensable pour donner du sens à leurs mots. La bibliothèque des 4 As s’est alors imposée, vu sa localisation à quelques 20 mètres du théâtre. Dans le cadre de ce rendez-vous, c’est elle qui prendra en charge les frais de déplacement des artistes par exemple.
Enfin, la bibliothèque inclut les rendez-vous du festival dans sa propre programmation, en proposant le vendredi 3 mai à 12h15 une “bobine sandwich” autour de La Peur tue l’amour (Patrick Carpentier, 2003). Dans le programme “Avril – mai – juin – été 2013” de la bibliothèque, on peut lire la définition d’une bobine sandwich : “la bobine vous propose une programmation de documentaires ou de films à l’heure de déjeuner. Le principe : vous apportez votre sandwich, l’entrée est libre et gratuite”. L’idée d’imbriquer la bobine sandwich et le festival “Libres Regards” est venue des bibliothécaires. Ainsi, le festival s’intègre à la forme que prend l’action culturelle de la bibliothèque: incluse, la bibliothèque inclut à son tour, ce qui tend à confirmer le vœu d’Ophélie Thiébaut pour une plus grande co-construction des rendez-vous à la bibliothèque
Des problématiques communes à toute institution culturelle
Du côté politique, le festival est toujours bien reçu : le maire de Belfort et son adjoint à la culture se montrent très présents, et les élus du Conseil Général qui assistent aux manifestations renvoient des échos positifs, notamment en ce qui concerne la qualité des interventions, qui est le cœur du projet. En ce qui concerne le public, le festival se voulant avant tout grand public et non destiné à un public militant et associatif gagné à la cause, il est réjouissant de constater qu’effectivement “la qualité des propositions artistiques […] permet de toucher un public très large. Le public associatif et militant représente une partite infime des spectateurs”1. En revanche, et comme pour toute programmation culturelle, la gageure réside dans le fait d’attirer des publics qui ne soient pas déjà des habitués des institutions culturelles. Le festival n’échappe pas en effet à l’impossibilité de la démocratisation culturelle qui touche le secteur culturel en général et les bibliothèques en particulier. On peut néanmoins compter en partie sur le hasard : des personnes venues écouter un concert à la Poudrière de Belfort dans le cadre de leur fréquentation de cette salle de spectacle seront susceptibles de s’intéresser à la programmation générale du festival, voire d’y retourner d’une année sur l’autre dans ce but et dans d’autres lieux si elles ont été intéressées. Un effet d’entraînement peut donc voir le jour.
L’autre défi du festival en matière de publics réside dans l’interdisciplinarité : s’il est facile d’encourager des gens à aller voir un autre concert dans une autre salle de spectacle à l’échelle d’un territoire (entre le Moloco et la Poudrière par exemple), il est infiniment plus compliqué de les inciter à aller au théâtre, à la bibliothèque ou dans une galerie d’art s’ils n’ont pas l’habitude de fréquenter ces lieux par ailleurs. Le décloisonnement des publics figure donc parmi les objectifs des organisateurs du festival, qui se rendent compte à quel point existent toujours des barrières symboliques dans certains secteurs, comme par exemple le centre chorégraphique et sa programmation de danse contemporaine.
Le nombre de rendez-vous augmente avec les années. Si “Libres regards” suscite un réel engouement, peut-on pour autant en conclure à une augmentation du public? Ce serait compliqué, étant donné la diversité des rendez-vous, difficilement comparables entre eux. S’il n’est pas étonnant que tous les concerts ou les projections de cinéma affichent complet par exemple, les vernissages en revanche affichent une fréquentation plus confidentielle. De la même façon, le thème de l’homoparentalité fait généralement salle comble quelle que soit la forme du rendez-vous, à tel point qu’une salle de cinéma a dû être trouvée à la dernière minute devant l’affluence à une conférence d’une chercheuse au CNRS sur ce thème. En dernière instance, ce sont bien les structures elles-mêmes qui sont à même de juger du succès de tel ou tel rendez-vous, et les organisateurs peuvent s’appuyer sur leurs retours positifs pour juger de l’accroissement d’intérêt suscité par ce festival.
Remerciements : un grand merci à Ophélie Thiebaut, dont les propos ont servi de matrice à la rédaction de cet article – merci à Louise Daguet pour avoir porté ce festival à ma connaissance et joué les intermédiaires
(Images : affiche du festival “Libres Regards” 2013 envoyée par Ophélie Thiebaut – La Peur tue l’amour, illustration utilisée dans le programme de la bibliothèque des 4 as pour le premier semestre 2013, et disponible sur le site Internet de la bibliothèque – “Open_the_wall.jpg, trouvée sur le site http://www.eric.lamidieu.org/post/2007/08/03/Decloisonner-lentreprise mais sans mentions légales).
1. Ophélie Thiébaut contactée par email, le 5 mars 2013
Rédaction : Mélanie Roche
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