Qui nous dit qui nous sommes ? (2e partie)

Ce billet fait suite à ce premier qui, il y a quelques mois, initiait une réflexion à partir de cours de l’enseignant-chercheur en sociologie Claude Poissenot. Ses interrogations se confrontent aujourd’hui au débat sur le « mariage pour tous ».

Du premier papier (je n’ose pas dire écran) je copie et je colle les réponses apportées à la question « Qui nous dit qui nous sommes ? » : « la famille, les amis, les enseignants, les thérapeutes, les fiches d’état civil, les médias, les sondeurs, les sociologues, les publicitaires, les gourous… ».

Je me fais aujourd’hui médiateur et j’invite les lecteurs du blog de légothèque à lire sur le site web de Médiapart la tribune de Anne-Laure BonvalotBrice ChamouleauBertrand Guest et Canela Llecha, doctorants en sciences humaines et sociales, entrant dans le débat sur le mariage pour tous afin « que de nouvelles manières d’exister, radicalement égalitaires, puissent un jour advenir ».

Cette tribune est intitulée Nos vies à la radio.

Selon moi ce titre est à entendre comme la dénonciation d’un vol, d’une usurpation de la parole (et de fait de la pensée) : sous prétexte que ceci lui est légitime, Untel dit ce que un Autre est censé penser, faire… enfin vivre. S’il s’agit bien là d’une appropriation (de la parole et de fait de la pensée), est-ce cela être légitime : s’approprier ?

Je pense que nous sommes bien dans la question posée par le sociologue Claude Poissenot : « Qui nous dit qui nous sommes ? » car nous avons dans cette tribune deux réponses : Qui nous dit…  « des partis politiques et des « responsables » religieux » ; …qui nous sommes ? « un groupe de personnes différentes ou pas tout à fait normales mais tellement sympathiques et même nécessaires ». Et ce qui est frappant c’est que le principal intéressé, le nous, n’est finalement pas présent : il est représenté (rendu présent) mais sans permission, il est interprété, sujet mais sujet de discussion.

Quel lien avec les bibliothèques et leurs enjeux ?

Peut-être discuter de la légitimité des bibliothécaires de juger ce que les lecteurs « doivent » lire et ce qu’ils « ne doivent pas » lire (écouter, visionner…) :

« Cet auteur est un auteur à succès qui ne changera pas la marche du monde. Celle-là est trop élitiste pour notre public majoritaire. Celle-ci ne vote pas pour le même parti politique que moi. Celui-là ne vole pas haut. »

Certes, plus un bibliothécaire a conscience de lui-même, plus il peut écarter ce genre de pensées ou leur apporter des nuances,  mais quel que soit le degré de conscience qu’il a de lui-même, le bibliothécaire doit faire des choix : il ne peut tout acheter, tout mettre en rayon, atteindre l’exhaustivité. Ou alors si : il le peut ?

Disons ici que non et disons encore une fois qu’un bibliothécaire, suivant le recul qu’il a sur lui-même (notamment son éducation, sa filiation), sera plus ou moins en mesure d’assurer un équilibre dans ses rayons, équilibre à l’image de la biodiversité (dans l’espère humaine…).

Je donnai en exemple l’éducation et la filiation mais il peut être aussi question de sentiment d’injustice : nous pouvons imaginer qu’un bibliothécaire qui milite dans sa vie privée pour une cause sera tenté, lorsqu’il passe commande d’ouvrages, de donner de la voix à cette cause et de faire taire la voix opposée. Quelle légitimité à cela ? N’est-ce pas s’approprier un sujet de discussion plutôt que le faire vivre ? N’est-ce pas dépasser le rôle strictement professionnel du bibliothécaire ? Mais alors, si un bibliothécaire met en avant par une animation un sujet peu ou très subjectivement traité par les massmedia (pour rester dans l’exemple de la tribune), que fait-il ? Milite-t-il ou exerce-t-il sa profession ?

S’il l’exerce alors bibliothécaire est le nom donné à la fonction qui consiste, entre autre, à être le gardien de la diversité de points de vue, de sentiments, d’émotions – exprimés par des livres, des images, du son…

Alors un bibliothécaire doit-il être en mesure d’assurer que son fonds est équilibré ou qu’à l’image de cet équilibre vers lequel il faut tendre il lui semble juste et même de son devoir de mettre en valeur un sujet peu ou très subjectivement traité hors de ses murs ?

(Bien sûr je dis son fonds et ses murs pour des facilités d’écriture non pour dire que le bibliothécaire s’approprie le bien public).

Ce rôle d’équilibriste est probablement encore plus affirmé dans les bibliothèques de petite taille : comment traiter partialement un sujet avec peu de place et de moyens financiers ? Le bibliothécaire doit toujours faire des choix : privilégier le point de vue le moins représenté dans les massmedia (pour rester dans l’exemple de la tribune) ?

(…)

Enfin, oui, bien que non prolifique sur ce blog, j’ai succombé à l’attrait du être dans l’actualité. Ou alors c’est que cette tribune m’est apparue au-delà de l’actualité. Ainsi je fais coup double. Par l’écriture je cherche à reproduire une intense sensation : un sentiment ou plutôt l’émotion d’un moi qui se sent proche d’autres mois. Un moi qui est, quelle que soit sa singularité, de ce Nous volatile qu’est l’Humanité.

C’est qu’il faut faire effort pour exister, se sentir vivre, se faire entendre ?

En tout cas, beaucoup ne se gênent pas pour se faire entendre au point de parler pour d’autres, ne se gênent pas pour dire de certains ce qu’ils pensent d’eux et non ce qu’ils savent d’eux (puisque : qu’en savent-ils ? Et même et avant tout, ces penseurs : que savent-ils et que disent-ils d’eux-mêmes ?).

Gérald Loye

NB : Médiateur : [Dictionnaire de la langue française, Encyclopédies Bordas, © SGED, Paris 1994] I. nom. 3. BIOCHIMIE, PHYSIOLOGIE. Substance libérée par les fibres nerveuses et par l’intermédiaire de laquelle ces fibres agissent sur d’autres éléments cellulaires. La noradrénaline et l’acétylcholine sont des médiateurs chimiques.


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