Ils étaient 600 000 selon le gouvernement central madrilène, mais 1 million voire 1,5 millions selon les organisateurs et la Généralité (gouvernement de la Catalogne). Le 11 septembre dernier, la manifestation pour l’indépendance de la Catalogne a donc été un succès qui a eu un large écho médiatique.
Sur fond de crise économique et financière dure, et dans un contexte tendu de revendications indépendantistes, comment les bibliothèques catalanes appréhendent-elles la diversité culturelle des populations qu’elles desservent ?
Bilinguisme constitutionnel et diversité culturelle
Le cadre légal dans lequel évoluent ces bibliothèques est celui d’un bilinguisme voire d’un trilinguisme institutionnel : le catalan et le castillan sont les deux langues officielles de la Catalogne, reconnues notamment par le statut de 2006 . L’Occitan ou l’Aranais est la troisième langue officielle, étant donné le régime spécial en vigueur dans le Vall d’Aran. La Catalogne et principalement ses grandes villes n’échappent évidemment pas aux phénomènes migratoires que peuvent connaître d’autres régions européennes. Ainsi, en 2010, sur les 1 619 000 habitants de Barcelone, 17,5 % sont d’origine étrangère représentant 165 nationalités différentes. Dans l’ordre décroissant, l’on trouve plus de 25 000 Pakistanais, 22 ooo Italiens, 14 700 Boliviens – liste complète.
La diversité culturelle se manifeste donc pleinement par les chiffres des recensements mais pas seulement. La répartition sur le territoire de la métropole barcelonaise des populations étrangères laisse transparaître quelques concentrations ethnico-linguistiques. Ainsi, les résidents pakistanais sont-ils largement sur-représentés dans le quartier du Ravall, en plein quartier historique. A ces chiffres, on pourrait ajouter ceux des touristes qui viennent du monde entier et qui renforce donc l’image d’une métropole multi-culturelle.
La Généralité de Catalogne et la Ville de Barcelone ont décidé de donner des réponses concrêtes aux défis soulevés par cette réalité multiculturelle. Le cas des bibliothèques de Barcelone pourrait devenir emblématique de la méthode utilisée pour répondre aux besoins des résidents étrangers. Le constat démographique global sur lequel ces bibliothèques se sont appuyées est connu. L’analyse statistique a ensuite consisté à repérer l’usage des bibliothèques par ces résidents étrangers. L’opération a été menée dès 2006 et a trouvé un début de synthèse en 2008.
Quelques constats :
– du point de vue des usagers, 18% des inscrits en bibliothèque sont des étrangers, soit une proportion équivalente au pourcentage d’étrangers habitant Barcelone. 160 nationalités sont représentés et le Pakistan et l’Argentine fournissent les plus gros contingents d’inscrits. Deux nationalités sont sous-représentées dans les inscrits en bibliothèque : les Boliviens et les Chinois. Une population est sur-représentée : les Argentins. Mis à part ces cas exceptionnels, on note une adéquation globale entre taux d’inscription et pourcentage de la population concernée au sein de l’ensemble des habitants de Barcelone.
– du point de vue des collections : en 2008, 11% des collections sont en langue étrangère, contre 33% en Catalan et 56% en Castillan. Si l’on entre dans le détail, on s’aperçoit que 9% des fictions sont en langue étrangère, mais principalement en Anglais, Français, Allemand, Italien…Le Penjabi, par exemple, parlé notamment par les Pakistanais et certaines populations indiennes, est peu représenté dans les collections : 122 documents de fiction (90 adultes et 32 enfants) sont proposés aux 10 797 Pakistanais inscrits dans les bibliothèques de Barcelone…On pourrait multiplier les exemples avec le Chinois, l’Ourdou etc…
– du point de vue des usages : peu de données sont remontées de cette étude. Cependant, une forte demande des primo-arrivants pour des méthodes de langue est exprimée lors d’enquêtes localisées.
Comment peut-on être bibliothécaire de la diversité culturelle ?
Les premières actions des bibliothécaires barcelonais ont donc constitué à chercher à rééquilibrer l’offre de documents en langues étrangères. Bien vite, les difficultés linguistiques sont devenues incontournables. L’idée a donc été d’associer des populations étrangères au choix des documents à acquérir. Ainsi, à la bibliothèque du Ravall, où 42 % des inscrits sont Pakistanais, les personnels sont entrés en contact avec les associations de cette communauté et ont mis en place un comité de sélection intégré par des résidents pakistanais. Les achats sont réalisés par l’association qui facture ensuite sa prestation au Consortium des bibliothèques de Barcelone. Parallèlement, des bibliothécaires ont été formés à la langue afin de pouvoir mener à bien le travail de catalogage et de signalement des documents acquis.
Un second exemple met en relief la nécessité d’un travail en partenariat avec les services sociaux et les associations qui agissent en direction des résidents étrangers. Ainsi dans le quartier du Guinardo, une forte population sud-américaine est résidente (Boliviens, Equatoriens, Colombiens essentiellement). La bibliothèque s’est donc insérée dans le programme « nouveaux arrivants » mené au niveau du quartier par les services sociaux barcelonais. L’axe privilégié a été celui d’un signalement systématique de la bibliothèque comme lieu de ressources pour les étrangers : ils peuvent y trouver un conseil juridique donné par des avocats qui tiennent des permanences, des ressources documentaires ciblées sur leurs droits et devoirs, un éventail de cours de langue catalane à destination notamment des enfants mais aussi un programme d’activités de découverte de la bibliothèque. Parallèlement, la bibliothèque consacre près d’un tiers de son budget d’acquisition de livres aux fictions et à la poésir sud-américaines.
Je pourrais multiplier les exemples barcelonais, car cette action s’inscrit dans le cadre de l’un des douze axes du plan de développement des bibliothèques : participation à la politique de cohésion sociale. Mettre en valeur la diversité culturelle est un des objectifs clairement affiché par ce plan.
Diversité culturelle ou multiculturalisme ?
La reconnaissance des cultures étrangères au sein des bibliothèques ne passe pas simplement par l’acquisition de documents en langues étrangères, mais il est un marqueur symbolique fort des orientations de la bibliothèque en ce domaine. Dans le cas des bibliothèques barcelonaises, la signalétique a été également travaillée comme la politique de communication : la publication d’un guide en plusieurs langues étrangères a été un outil décisif pour informer des actions de la bibliothèque.
Aujourd’hui, au terme de 4 années d’action, les bibliothécaires se posent de nouvelles questions qui affinent la réflexion sur le multiculturalisme : qu’en est-il ainsi de la deuxième génération ? Ses usages de la bibliothèque diffèrent-ils des résidents qui n’ont aucune ascendance étrangère ou bien une demande spécifique s’exprime-t-elle ?
L’exemple barcelonais n’est pas exempt de zones d’ombre, mais il a pour mérite d’encourager un regard critique sur nos propres pratiques. Nombre de plans de développement de la lecture publique français affirment leur volonté de desservir toutes les populations mais leur déclinaison opérationnelle fait souvent abstraction de zones de population où la langue française est en concurrence avec d’autres idiomes. Faut-il encore l’ignorer à l’heure du « village global » et du « vivre ensemble » ?
Laisser un commentaire