Ouvert depuis juillet 2010, le centre LGBT Côte d’Azur à Nice s’est doté d’une bibliothèque inaugurée le 2 février dernier. Couplée au vernissage des photographies de lecteurs de François Morey, que nombre d’internautes facebookiens avaient déjà commencé à admirer sur le web, cette inauguration a été largement saluée et suivie. Y compris par les politiques.
Quelques minutes d’interview (bibliothéconomique, avouons-le) avec l’ami François, l’un des créateurs-organisateurs de cette bibliothèque et conservateur à la retraite, pas vraiment à la retraite…
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DGP : Comment est née l’idée d’installer une bibliothèque au Centre ?
FM : Le centre LGBT a ouvert au public en juillet 2010 après plusieurs années de gestation. Il y a eu un don d’un millier de livres dont une partie sur la problématique LGBT. J’ai découvert le centre un an avant son ouverture au public. Et ayant appris qu’il y avait eu ce don de livres, je me suis proposé pour l’étudier. Sur les mille ouvrages, une bonne centaine concernait à proprement parler la question LGBT. Le centre a très rapidement accepté de vendre les livres non LGBT pour disposer de nouveaux crédits d’acquisition pour la bibliothèque. D’ailleurs, à l’annonce de la création de cette bibliothèque LGBT, d’autres dons ou dépôts, d’individus comme d’associations, sont venus renforcer le fonds initial, qui atteint désormais 340 documents hors revue. Voilà l’origine.
DGP : Est-ce que tu connais d’autres expériences comparables en France ?
FM : Oui, il y a par exemple une bibliothèque importante au centre LGBT de Paris. Et puis aussi à Angers, il y a Quazar, à Bordeaux c’est Le Girofar, à Clermont-Ferrand, à Grenoble, à Lille, Lyon, Reims l’association Ex Aequo, l’Adheos à Saintes, à Rennes, à Tours et puis Couleurs Gaies à Metz…
L’expérience de La Rochelle est intéressante aussi, je vais m’en inspirer : l’association s’appelle aussi l’Adheos, comme à Saintes, elle n’a pas de bibliothèque mais une page Internet avec des brochures téléchargeables.
A Nice, le catalogue de la bibliothèque est en ligne. Le centre LGBT Île-de-France a fait de même. Quelques-uns de ces centres ont des listes de livres en fichiers téléchargeables, mais on ne peut pas parler de catalogue informatique.
DGP : Est-ce que se dessinent des axes particuliers au sein du fonds du centre niçois ?
FM : Se dessine surtout un constat : sur les 283 livres catalogués, il y a 168 romans et 9 bandes-dessinées. Il faut relever une particularité : tous les dons qui ont été faits l’ont été par des mecs. C’est donc une bibliothèque gay bien plus que lesbienne ou trans. Suite à cela, j’ai demandé à avoir un budget d’acquisition pour rééquilibrer : en lien avec les groupes de travail Femmes et Transgenres, j’ai acheté des bouquins récents sur les thématiques absentes : les femmes, le féminisme, la transsexualité, le genre, etc.
Côté matière, la classification Dewey, qui a été retenue, permet une réponse plus précise : on trouve en priorité les sciences sociales, les arts, la littérature, la philosophie et la psychologie.
DGP : Et il y a des périodiques ?
FM : Oui, nous avons des périodiques mais ils ne sont pas encore catalogués. Il y a une collection presque complète de Tétu, qui a offert un abonnement gratuit1. La revue belge Tels quels, de l’association belge francophone du même nom qui rayonne sur des villes francophones de Belgique et qui envoie aussi gratuitement chaque numéro.
Nous recevons aussi un numéro de Sport friendly, produit par l’association Front Runners, association de coureurs à pied, qui a une antenne à Nice.
Enfin des gratuits : Nous et Marcel. Mais la presse gratuite LGBT est très mouvante et ces titres n’existent peut-être déjà plus.
A cela s’ajoutent quelques numéros de Masques qui ont été donnés. De même, je crois que nous avons quelques numéros de Gai Pied.
Je suis en contact avec la bibliothèque du centre de Paris avec laquelle on pratique assez facilement l’échange des doubles.
DGP : Est-ce que tu es en contact avec la Bibliothèque municipale de Lyon qui a ce fonds LGBT, Le point G ?
FM : Non aucun contact. En revanche, à l’IUFM de Lyon, il y existe le fonds Aspasie, très intéressant, sur l’histoire des femmes et la question du genre dans l’éducation. Une bibliothèque que j’ai visitée.
DGP : Et en termes d’usage…
FM : C’est trop tôt pour en parler ! La bibliothèque a été inaugurée le 2 février 2012 ! Pour le moment, nous avons cinq – six lecteurs ; le centre est peu ouvert, seulement les mercredis, samedis et un lundi sur deux… Je suis en train de former des bénévoles pour assurer les inscriptions, les prêts et les retours. Nous travaillons à partir du logiciel gratuit PMB. Tous les livres sont équipés d’un code barre…
DGP : En budget d’acquisition, tu as combien ?
FM : On a pris la décision d’ouvrir la bibliothèque seulement au mois de décembre ! Déjà en décembre, le centre a décidé de réserver 1 000 €. Pour l’année 2012, je dois faire une demande de budget. Je vais aussi faire une demande de subvention auprès du Centre national du Livre et de la Direction régionale des affaires culturelles de PACA.
DGP : Sur le plan documentaire, dans quelle logique se place la bibliothèque ?
FM : La politique documentaire que j’essaie de mettre en place, c’est d’avoir les ouvrages qui documentent les questions LGBT. Avoir aussi les œuvres écrites par des auteurs LGBT ou gay friendly, et avoir les romans dont l’action prend place dans un cadre LGBT. Pour les plus jeunes, nous avons acheté en décembre des ouvrages comme Ne m’appelez plus Julien, des bouquins – albums ou romans – qui dédramatisent et permettent l’identification et le dialogue entre les parents, les enfants et les enseignants. D’ailleurs, les achats en ce cas se sont fait à partir d’une liste du Beit Haverim2 qui est aussi une liste de livres recommandés généralement par les CDI des établissements scolaires. Dans notre centre, plusieurs personnes sont aussi intervenants en milieu scolaire dans le cadre des actions de lutte contre l’homophobie et les discriminations.
DGP : Vous faites de la com’ en direction des établissements scolaires, lycées, collèges ? Le Rectorat ?
FM : Le centre LGBT fait de la communication y compris vers les établissements scolaires… Le dépliant du centre développe sur plusieurs rubriques les questions afférentes : culture, jeunesse, etc.
DGP : Et par rapport à la communauté politique ?
FM : Christian Estrosi, maire de Nice, a inauguré le centre. Pour l’inauguration de la bibliothèque, il s’est excusé et s’est fait représenter par une adjointe qui a été bien présente.
C’est la municipalité qui a fourni le local au centre contre un loyer très raisonnable.
Le centre reçoit aussi une subvention de la Région PACA. Il n’y a, par contre, par de subvention venant du Département.
Et puis, d’autre part, il y a eu un don de Randstad une compagnie d’assurance qui a fait de la lutte contre les discriminations une politique affichée.
L’office de tourisme développe une politique de formation pour les luttes contre les discriminations et pour l’accueil des publics LGBT. J’ai participé à des journées de formation, notamment en direction des hôteliers et des restaurateurs, qui obtiennent ensuite un diplôme et un label.
L’office de tourisme développe une politique de formation pour les luttes contre les discriminations et pour l’accueil des publics LGBT. J’ai participé à des journées de formation, notamment en direction des hôteliers et des restaurateurs, qui obtiennent ensuite un diplôme et un label.
Dans le cadre de l’ABF3 en PACA, enfin, j’ai été très heureusement surpris du bon accueil général réservé à l’annonce de la création de la bibliothèque. Je m’attendais à ce que ce soit plus mitigé. Je n’ai eu que des réactions positives, intéressées. C’est agréable à vivre. Ceci dit, à Nice, il y aussi des agressions homophobes. Mais le centre n’a jamais eu de problème de cet ordre.
DGP : Est-ce que tu penses que la situation est plus favorable à Nice ?
FM : Je ne sais pas. En regardant, les statistiques de santé, on voit que nous sommes la seconde région de France en termes d’expansion de l’épidémie de SIDA. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une population à risque plus nombreuse. Or la réputation de Nice, c’est d’être une ville de retraités – la preuve j’y suis ! – mais aussi une ville gay… Mais cette réputation n’est pas tout à fait conforme. Il y a, aussi, une population avec une culture méditerranéenne machiste et homophobe.
Je suis frappé chaque fois que je prends le tram ici… Les interjections du type « pédé », « tapette », « enculé » fusent régulièrement, sans pour autant que les locuteurs comprennent vraiment le sens de ce qu’ils disent… C’est peut-être un phénomène plutôt méridional. Je vois moins cela à Paris. Mais c’est vrai aussi que je n’y rencontre pas non plus les mêmes catégories sociales.
DGP : Si je pouvais venir demain au centre, tu me conseillerais quoi à lire ?
FM : Euh… Patrice Salsa. Les trois derniers, d’un coup. Un garçon naturel aux Éditions du Rouergue, La Signora Wilson chez Actes Sud et puis Le joueur de théorbe chez Urdla, un imprimeur de Villeurbanne.
DGP : Côté animation culturelle ?
FM : On a déjà organisé des rencontres avec des auteurs, par exemple avec Daniel Lance qui a écrit sur Jean Genet. On a fait un débat avec lui autour de Genet.
J’ai programmé une expo commandée à Pochep, un dessinateur de BD. Il a publié quelques BD papier et puis il publie sur son blog – un pédéblog… L’idée c’est de faire faire à des auteurs de BD des fausses unes de journaux gays, par exemple Gai Pied, en s’inspirant du titre réel. Et puis on exposera soit fin 2012, soit début 2013 et on organisera une rencontre avec lui…
Interview réalisée le 26 février 2012
par David-Georges Picard
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1 ndla : les numéros en cours sont consultables sur place et non empruntables à domicile.
2 ndla : Groupe juif gay et lesbien de France, http://www.beit-haverim.com/
3 ABF : Association des bibliothécaires de France
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